C'était une nuit de juillet. Je flânais dans les rues désertes de la ville avec trois potes, nos pas zigzaguaient, on était éméchés, on avait bu pour se débarrasser de notre ennui mais il était toujours là et on n'avait pas envie de rentrer. On a continué à marcher vers notre banlieue sans prendre le train ou le métro.
Arrivés dans la cour devant l'immeuble de Carl, on a encore bavardé et il a sorti un pétard qu'il a allumé. On se foutait de la gueule de la bande des Tilleuls, la résidence de HLM en face. Zacharia s'est mis à gueuler :
— Ah les bouffons ! L'autre jour, ils m'attendaient à la sortie du parc, quatre qu'ils étaient ! T'aurais vu leur gueule quand j'ai sorti ma lame ! Ils ont écarquillé les yeux et j'ai annoncé la couleur : qui veut être le premier ?
J'ai regardé Zacharia :
— Sérieux ?
— Ouais mon pote, comme je te le dis ! Ils se sont écartés vite fait...Marco fixait Zac tout en fumant, les yeux plissés comme s'il se concentrait sur les paroles de ce dernier.
— Tu l'as sur toi là, ton couteau ?
— Bien sûr, il ne me quitte plus...
— Fais voir !
Zacharia releva le bas de son jean sur sa jambe droite, révélant un manche de couteau dépassant de sa chaussette. Il s'en saisit et dégagea la lame de son fourreau de cuir. Je me suis exclamé :
— Putain, mais où t'as trouvé ça ?
— Ah ah, mate ça mec ! Ça vient de mon pays !J'ai reculé d'un pas malgré moi en contemplant l'arme blanche d'une longueur de 30 cm en tout, impressionnante.
Marco a demandé :
— C'est pour tuer les tigres ou les bisons ?
Zac l'a levée vers le ciel et le métal a scintillé sous la lumière du réverbère. Zac a tournoyé autour de nous singeant une attaque, brandissant le couteau sous notre nez. Je ne bougeais plus, tellement fasciné par cette arme dont je ne pouvais détacher mes yeux. Carl a lâché :
— Arrête tes conneries...
— Ah ah ! T'as peur comme ces connards des Tilleuls !Je lui ai passé le joint pour qu'il cesse son cinéma mais ça ne l'empêchait pas de continuer à nous narguer. Zac l'a tendu à Carl qui a tiré une super taf avant de lancer :
— Bon salut les keums, je vais me pieuter...Puis il a tourné les talons vers le hall d'entrée en agitant le bras au-dessus de sa tête avant de passer les portes vitrées. J'ai jeté un coup d'oeil sur mon portable : 3H du mat. J'ai ouvert l'icône photo-vidéo et j'ai filmé Zac qui agitait toujours son couteau à la manière d'un maître d'art martial avec son sabre.
Plié en deux, tapant sur ses cuisses en se tordant les côtes de rire, Marco s'est moqué de moi :
— Si tu crois que ça va faire le buzz sur internet...
Puis il a rajouté :
— Vu ton niveau de pro sur YouTube, je croyais que tu t'intéressais à autre chose qu'à ces fanfaronnades !
Avant de s'esclaffer :
— Ça te change des scènes de cul !J'ai stoppé la vidéo sur le visage noir de Zac tenant le couteau entre ses dents trop blanches. J'ai tourné l'image vers eux, ça pouvait très bien être une scène d'un truc d'horreur :
— Pas mal non ?Tout à coup Zac a retiré le couteau de sa bouche et l'a rangé dans son étui tout en me prévenant :
— Déconne pas mec, tu publies pas ça sur les réseaux...
— T'inquiète, c'est juste entre nous !
— Ouais...C'est comme quand t'as posté une vidéo de Céline et moi en train de baiser, j'aime pas trop ça mec...
— C'est surtout ta meuf qui a été emmerdée...
— La ramène pas, c'est pour ça qu'elle m'a largué !
— Désolé...Marco a sifflé la fin de la récréation :
— Bon ça suffit vous deux, moi je me casse...
Il a pris à rebours le chemin par lequel nous étions venus après avoir hoché la tête et murmuré :
— A la prochaine !Il habite dans la barre d'immeuble près du métro alors que Zac et moi on est dans le dernier bâtiment avant la résidence des Tilleuls. On s'est mis en route sans parler, en s'engageant dans la direction opposée. La température était redescendue à 20°, agréable. Zacharia avait toujours le couteau en main, ce qui me mettait mal à l'aise.
On a longé une haie de trente mètres avant de déboucher sur une allée qui menait chez moi tandis que Zac continuait tout droit. J'ai essayé de m'expliquer :
— Excuse-moi pour Céline mais franchement je croyais que t'en avais rien à foutre !
Il est parti d'un grand éclat de rire :
— En fait t'as raison frère, je m'en foutais de cette salope, elle s'est mise à dos toutes ses copines quand elles ont vu qu'elle baisait avec un noir, t'as juste précipité les choses, elle m'aurait largué de toutes façons...Allez, salut...Zac s'est éloigné et je suis resté un moment bras ballants dans l'air doux, je n'avais toujours pas sommeil. Tout à coup des voix ont crevé le silence accompagnées de bruits sourds, ça venait de là où devait se trouver Zac.
J'ai couru vers lui le plus vite possible et j'ai stoppé net devant l'éclair de la lame qui fendait la noirceur de la nuit. j'ai crié :
— Arrête Zac !Puis j'ai réalisé que deux types maintenaient un gars au sol lorsqu'ils ont relevé leurs têtes recouvertes de cagoules vers moi. Ils se sont redressés et ont déguerpi à toute blinde suivis par celui qui tenait le couteau une seconde avant et qui l'a laissé tomber par terre en s'enfuyant.
Je me suis précipité vers Zac, il avait la gorge tranchée ! Une mare de sang commençait à se former. J'ai sorti mon smartphone et j'ai filmé la tache rouge qui grandissait autour de son cou, s'étalant de plus en plus vite jusqu'à atteindre le couteau qui gisait à vingt centimètres de sa tête.
J'ai zoomé sur son visage, la surprise était encore dans ses yeux grand ouverts et la peur déformait ses traits. J'étais hypnotisé, j'ai continué à tourner jusqu'à ce que disparaisse toute trace d'émotion ou de vie, j'assistais en direct à la mort. J'ai arrêté la video et pour la première fois de ma vie, j'ai appelé les Keufs.

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UN HOMME PARFAIT
ContoRecueil de nouvelles : des femmes dirigeantes décident de se passer du genre masculin, Un homme nie la réalité, Un fils enterre son père, un homme largue sa femme pour une plus jeune, une rencontre insolite sur un site, un bienfaiteur de l'humanité...