Chapitre 2

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Ce matin, le temps est gris et lourd comme tous les matins, lorsque je sors du Cyber café à 6H45.
Un léger crachin me tombe dessus en prime. Mon blouson est plein de taches. Quatre jours que je porte les mêmes fringues et je pue !

Je descends la grande avenue par le trottoir du milieu sous les arches métalliques qui soutiennent le métro aérien. Des ombres noires et grises allongées à même le sol ou avachies dans un demi sommeil peuplent les pieds des pylônes. C'est là que se réfugient la plupart des clochards, des immigrés, des dealers et tous ceux qui ne savent pas où passer la nuit.

J'ai laissé un sac de voyage où sont rassemblées toutes les affaires que je possède à Joël, un mec du squat qui m'a à la bonne. Autant je me méfie de tout le monde, autant lui ne m'a jamais embrouillée. L'heure est aux comptes. Pour que mes nuits soient belles, il me faut assurer un budget de 40 euros par jour, ça, c'est la priorité. C'est l'équivalent de trois paquets de cigarettes ou de trois joints, d'une bouteille de whisky ou d'un quart de sniff de coke.

Vautré dans un fatras d'ordures et buvant au goulot une bouteille de bière, je reconnais un mec croisé au squat.
— Hey man, tu sais où est Joël ?
Ses yeux restent éteints tandis qu'il m'examine de la tête aux pieds. Tout à coup, une lueur étincelle dans son regard :
— T'as du 2-CT-2 ?
— T'as du fric ? Si tu m'en donnes, je vais t'en chercher...
— Nan ! Amène-toi avec ...
— Laisse tomber, t'as pas de quoi acheter...

Mon estomac crie famine tandis que je poursuis ma route. Je m'arrête dans une supérette, ouverte nuit et jour, attrape une bouteille d'eau que je tiens d'une main tandis que de l'autre, j'enfourne un lot de deux sandwichs ni vu ni connu à l'intérieur de mon blouson. À la caisse, je pose l'eau sur le tapis roulant, extirpe de ma poche de jean les quelques pièces de monnaie qui s'y trouvent et patiente derrière la cliente devant moi. Le type du magasin me fixe alors sévèrement des yeux et m'interpelle :
— Sortez ce que vous avez caché là me dit-il en pointant un doigt menaçant vers la bosse au-dessus de mon ventre !

Penaude, j'obéis et réunis péniblement la somme exacte, après quoi il ne me reste qu'une pièce de 50 centimes. Je parcours une dizaine de mètres avant de m'abriter sous l'auvent d'une boutique de mode encore fermée, m'assieds sur les marches et mange à pleines dents. Je consulte mon portable, je n'ai aucun message, tout à coup, il vibre.

 C'est la mère d'un gamin de six ans que j'ai déjà gardé quelquefois. C'est mercredi aujourd'hui, Basile n'a pas école, et les grands-parents sont absents cette semaine, elle doit travailler.
— Pas de problème lui dis-je, j'arrive !

L'aubaine ! Trop contente qu'elle fasse appel à moi, je m'engouffre dans le métro, saute le tourniquet, monte dans une rame, en descends cinq stations plus tard et remonte à l'air libre. Dix minutes après, j'appuie sur le bouton de l'interphone en bas de son immeuble.

C'est une femme aux cheveux blonds mal peignés et yeux cernés qui m'accueille en s'agitant de tous côtés pour enfiler son manteau, fouiller dans son sac et me donner un jeu de clés tout en débitant ses instructions :
— Enfin Erin ! J'ai cru que vous n'arriveriez jamais ! Basile finit son petit déjeuner dans la cuisine, vous lui donnerez sa douche. Il mange à midi pile ensuite vous l'emmènerez au parc, je reviendrai vers 16H30. Ça vous va comme ça ?

Elle me regarde d'un air interrogateur, un sourcil méfiant relevé tandis que ses narines frémissent. Elle a dû se rendre compte de mon état de saleté.
— Vous pouvez compter sur moi, à tout à l'heure...

Une fois la porte refermée derrière elle, je vais retrouver Basil en complète concentration sur un dessin animé, un iPad posé sur la table devant lui.
— Salut Basile, tu finis pas tes céréales ?

Comme il ne répond même pas, j'attrape son bol dans lequel je verse un peu plus de kellogg's et de lait et engloutis le tout. Je pique aussi un kiwi et une mandarine avant de débarrasser la table puis je laisse Basile pour foncer dans la salle de bains.

Je me déshabille, enfourne mes fringues dans la machine à laver et enclenche un programme rapide avant de me doucher longuement. Une serviette enroulée autour de ma poitrine, je retire mes vêtements de la machine et les pose sur les sèche-serviettes. Je branche mon téléphone pour le recharger puis retourne auprès de Basile qui n'a pas bougé.
— Ecoute, moi je veux bien te laisser regarder des dessins animés toute la journée mais à deux conditions : tu vas t'habiller et surtout tu ne dis rien à ta mère, ok ?

Basile me balance un ok à moitié en râlant, met son film sur pause, descend nonchalamment de sa chaise et traîne les pieds jusqu'à sa chambre où je le suis pour superviser l'opération. Au bout de cinq minutes, il est de retour et ré-enclenche le mode lecture de sa tablette. Quant à moi, je parcours la penderie de sa mère et finis par dénicher un jean, un tee shirt et un pull en attendant de pouvoir remettre mes vêtements. Je récupère mon portable et les clés de l'appartement avant d'avertir Basile :
— Bon tu restes tranquille, je vais faire un tour, je reviens pour le déjeuner...

La pluie a cessé lorsque j'arpente le trottoir en direction du squat. L'air de rien, je longe le bâtiment gris recouvert de tags à ma gauche dont les deux accès sont fermés par des scotchs jaunes et rouges tandis qu'un car de flics stationne devant.

Je tourne autour du pâté de maisons, l'oeil aux aguets à la recherche de Joël ou d'une silhouette connue, mais je ne vois personne. A l'entrée du métro, je reconnais un camerounais derrière son étalage de bracelets en cuir, qui dormait là-bas quelquefois.
— Salut ! Tu ne sais pas où sont passés tous ceux qui habitaient là-bas ? Dis-je en désignant le squat de la main.
— Ah ah ! Ceux qui n'ont pas eu le temps de déguerpir avant la descente des flics ont été embarqués, qu'est-ce que tu crois.
— Tu sais pas si Joël était dans le lot ?
— C'est qui ce mec ? Comment tu veux que je sache ?
— Mais si, le grand brun à la peau mate en survêtement, avec une boucle d'oreille en forme de tête de mort, il était souvent avec moi.
— Ah ! Le dealer tu veux dire ?
J'acquiesce de la tête.
— Quand je me suis enfui, il n'était déjà plus là, heureusement pour lui...
— Ok, merci.

Dépitée, je descends l'escalier du métro, envoie à tout hasard un message à Joël sur son portable avant de regagner l'appartement à 14H. Basile n'a pas bougé si ce n'est pour brancher la prise de sa tablette. De ses yeux rougis il me regarde avec colère et me menace d'un ton exaspéré :
— J'ai faim ! Je le dirai à maman.
— Ok ok, je te fais une assiette jambon-coquillettes, ça te va ?


UN HOMME PARFAITOù les histoires vivent. Découvrez maintenant