Chapitre 4

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Encore sonné par tout ce que Melody m'a révélé, je file chez moi faire le point et lire le dossier que Jim m'a concocté. Je me prépare d'abord un café fort, me roule un joint et sors sur le balcon. En même pas une journée, j'ai récolté une tonne d'infos.

En gros, Melody veut s'immiscer dans mon article pour réclamer le divorce car rien ne vaut une Vox populi qui vous appuie. Mais pourquoi prendrais-je son parti, je ne suis pas juge. Qui a tort, qui a raison dans les histoires de couple ? C'est trop compliqué pour moi. D'ailleurs pour être franc, j'ai trompé les femmes de ma vie et je ne sais même pas pourquoi. Peut-être qu'on n'est pas un vrai mec si on n'a pas de maitresse, les hommes sont tellement cons ! Qu'ils aient ou non du pouvoir dans la société, ils considèrent que collectionner les femmes en est un...

Je retourne à mon bureau et examine le rapport de Jim rempli de tableaux de bord aux normes légales, censés étayer la politique de responsabilité sociale et environnementale de Human Potential. Les salariés nagent dans le bonheur et sont choyés comme des bisounours, quelle chance ils ont de travailler dans cette boite ! Je jette les papiers à la poubelle et rappelle mon hacker.

Il est épatant ! Non seulement il va me transférer toutes les données du portable de Melody mais aussi celles de deux portables perso de JG qui sont en relation avec ce dernier. J'ébauche quelques lignes directrices concernant mon futur article avant d'enfiler un blouson et de ressortir pour mon rendez-vous avec Jim.

Avec tout ce que je fume, je grimpe les marches quatre à quatre jusqu'au cinquième étage de son immeuble sans ascenseur sans m'essouffler. Comme je l'avais espéré, le jeune homme qui m'ouvre la porte a l'air abattu, les yeux cernés, la mine anxieuse, il est en pleine descente.
— Salut ! Merci de me recevoir, ta journée a du être éreintante à ce que je vois ...
Il hoche la tête puis s'efface sur le côté pour me laisser passer.
— Première à droite ...

Je pénètre dans un salon à peine plus grand que mon studio, équipé d'une table de bureau, d'un canapé et d'un genre de Home cinema avec un grand écran en face. Tous les murs sont noirs. Un abat-jour de papier au plafond éclaire la pièce de manière tamisée.

— Assieds-toi, je t'ai attendu avant de me faire une ligne de coke, t'en veux ?
Je décide d'être franc :
— Non merci, je t'ai demandé si tu pouvais en avoir mais c'était une façon de t'approcher, je ne veux plus y toucher...
— Alors pourquoi tu es venu me voir ?
— J'ai lu ton rapport officiel et je voulais que tu l'infirmes ou que tu le confirmes parce que j'y crois pas trop...

L'air consterné, Jim me fixe droit dans les yeux, lève ses bras paumes vers le ciel en signe d'impuissance avant qu'un rire cynique ne s'échappe de sa gorge. Il se laisse choir à côté de moi, appuie ses coudes sur ses genoux et me toise :
— Ah ah ! Tu es le journaliste qui veut la vérité vraie, le justicier de la presse, s'il n'en reste qu'un, tu seras celui-là...

Un silence pesant s'installe durant cinq minutes pendant lequel il semble hésiter. Tout à coup, il se lève :
— Donne-moi ton portable...
Devant ma résistance, il insiste en prenant le sien sur son bureau :
— T'inquiète !
Je lui file mon téléphone, il ouvre la fenêtre et pose les deux portables sur le rebord avant de la refermer. En se retournant vers moi, il m'annonce :
— Tu n'imagines pas le risque qu'on prend, JG a des antennes partout.

Il revient s'asseoir auprès de moi et frotte ses mains sur ses cuisses.
— Bon et bien si tu veux tout savoir, Human Potential est une boite à la pointe du progrès indéniablement. Par contre, si tu n'es pas un salarié « haut gradé », ta journée de travail est difficile et pas bien payée.
— Tu peux détailler ?
— Et bien l'organisation te contrôle dés ton arrivée au travail. Tu dois laisser ton portable à la sécurité du site, tu passes des portails de sécurité, détecteur de métal, de drogue, de fièvre etc...

Tout retard même d'une minute est comptabilisé, au bout de six t'es viré. Tu n'as aucun contact avec personne, les supérieurs ont des vestes rouges et regardent les écrans tout le temps, ils interviennent lorsque les systèmes d'alerte les avertissent, sinon tu ne les vois jamais. Ce sont pourtant eux qui planifient ta journée par l'intermédiaire du scan-portable de la boite, tu as un emplacement différent tous les jours.

Tu manipules des puces, des cartes électroniques à la chaine ou alors tu enregistres des résultats de tests sur l'ordinateur en cochant des cases, ce que tu fais n'a pas de sens, tu ne sais pas ce qu'il se passe avant et après ni à quoi ça correspond. T'as pas intérêt à aller aux toilettes pendant ton job, c'est avant ou après sinon, retenue sur salaire etc...

Jim continue sa description sur le même mode puis se lève subitement pour attraper un sachet dans sa poche de veste. Il le déplie sur un miroir qu'il a tiré de sous son canapé, forme une ligne avec la poudre à l'aide d'une lame de rasoir et aspire cette dernière avec un tube de papier.

Après un quart d'heure, j'en ai assez entendu sur Human Potential et quitte Jim après avoir récupéré mon portable que je consulte dans le taxi qui me ramène chez moi. Mon hacker m'a envoyé plein de liens vers des enregistrements de conversations entre JG et d'autres figures du Big Business que j'écoute attentivement.

Je suis stupéfait par ce que j'apprends : JG parie avec des comparses sur le sort des migrants en mer ! Il s'amuse comme un petit fou lorsqu'une embarcation a chaviré, noyant des centaines de personnes ou qu'aucun pays ne veut les accueillir. Avec certains de ses amis, il rend service aux politiques en organisant le ramassage des pauvres, des SDF, ou squatters pour les parquer dans des camps entourés de milices qui les maintiennent prisonniers.

Tout cela me glace le sang, il n'y a rien d'installé dans ces camps, pas d'abris, pas de sanitaires, pas de nourriture. Lui et ses potes se tapent le ventre à les voir se battre quand il leur jette de la nourriture comme s'ils étaient des animaux. J'ai beau être quelquefois immoral moi-même, là, c'est monstrueux, je ne peux pas le garder pour moi. Le taxi me dépose deux rues avant la mienne, je vais marcher un peu pour me rafraichir les idées.

Je m'arrête devant la porte de mon immeuble, commence à taper mon code, lorsque quelqu'un derrière moi, passe son bras autour de mon cou et me tire en arrière tandis qu'un complice se pose devant moi et me bombarde de coups dans le ventre avant de finir par un uppercut qui me casse le nez.

Lâché, je glisse à terre de tout mon long et n'ose pas relever la tête pour voir mes agresseurs, de peur de m'exposer à des coups de pied supplémentaires. J'entends la voix de l'un des hommes m'ordonner :
— C'est un avertissement de JG, Dany, pas d'article et ne tourne pas autour de sa femme ! Fais bien gaffe à toi, j'crois qu'il t'a pris en grippe...
Leurs pas résonnent dans la nuit brune avant de s'éloigner et de se fondre dans le silence.

UN HOMME PARFAITOù les histoires vivent. Découvrez maintenant