20 septembre.
Aujourd'hui, j'ai prononcé mes voeux perpétuels : obéissance, pauvreté, chasteté. Le grand saut ! Je me suis engagée pleinement sans aucun doute ni réticence, en parfait accord avec moi-même. La vie ici me convient, chaque jour m'apporte joie et sécurité à chaque moment. Obéir à des règles de vie apporte la liberté, je suis déchargée de toute inquiétude, de toute responsabilité pour moi ou les autres, Dieu s'occupe de tout, je ne me pose pas de questions.
Mes parents sont fonctionnaires, l'un à la poste, l'autre prof de gym, autant dire qu'on n'a jamais roulé sur l'or dans la famille mais on n'a jamais manqué de rien non plus. Tout cela pour dire que l'austérité des menus ici m'est coutumière et que je me suis toujours contentée de ce que j'avais, contrairement à Léo qui veut toujours plus.
Quant à la chasteté, cela ne m'est pas vraiment difficile. J'ai eu du plaisir avec Léo, mais je crois que je ne suis pas très branchée sexe...
La petite chapelle, où je suivrai mon enseignement par mon futur directeur spirituel d'ici deux mois est sobre et charmante. Murs blancs, autel blanc portant les différents objets du culte, une table en bois derrière un pupitre sur lequel est posée la bible, face à une dizaine de chaises. Au sol quelques vestiges de mosaïques blanche et ocre. Un lieu privé où l'on se sent seul avec Dieu.20 novembre.
Cher journal, je ne reprends la plume qu'aujourd'hui car jusqu'ici je n'ai rien eu de nouveau à te raconter.
Ce matin, lorsque la mère supérieure a annoncé que le prêtre Frédéric sera mon maître d'enseignement ainsi que pour deux autres novices arrivées en même temps que moi, j'ai vu son front s'assombrir un instant. Pourtant, il a l'air d'un homme gai et d'un bon vivant, je l'ai surpris à se verser un peu de vin ou grappiller dans les plats à la table derrière moi. Dieu n'a rien à redire à cela.
Deux fois par mois après le dîner, il me dispensera son enseignement dans la petite chapelle avant l'Office de Complies. J'ai hâte de commencer.23 novembre.
Je dois dire que ma première entrevue avec le prêtre Frédéric m'a déroutée. Il a d'abord rappelé que Dieu vient aider les hommes et les sauver et que l'amour d'amitié sera la méthode employée tout au long de nos réunions. Lui-même est l'instrument de Jésus, il agit au nom de Dieu et je devrai lui obéir parce qu'il est In Personna Christi, c'est à dire à la place de Jésus.
Il m'a désigné quelques versets de la Bible à lire et a passé un bras autour de mes épaules, or tout contact physique est tabou, ce que je lui ai dit. « Ne voyez vous pas que vous êtes ainsi sous la bienveillance et la protection de Dieu ? Que je le représente à cet instant même, c'est lui qui me commande », M'a -t-il répondu. « Poursuivez » a-t'il ajouté sans me lâcher. Se rend-il compte qu'il enfreint les règles ? Est-il juste familier ?
28 novembre.
Décidément cet abbé me trouble ! Toute la journée il a vérifié ce que je faisais, toujours présent dans la cuisine, dans la buanderie, dans le potager, je n'osais même pas lever les yeux vers lui.
10 décembre.
Je suis perdue et complètement perturbée par ma deuxième leçon avec l'abbé Frédéric. Dés que je suis entrée dans la chapelle, il a tendu ses mains vers moi en quémandant : « permettez-vous que je prenne votre main ? ». Il l'a embrassée sous toutes les coutures en prononçant : sentez-vous l'amour de Jésus ? Vous n'avez pas besoin de prière mais de ces gestes-là a-t-il annoncé tout de go. Il a ouvert mon habit et je me suis exclamée : « mais vous n'avez pas le droit de faire ça ! ».
Sans daigner me répondre, il a poursuivi son intrusion en touchant ma poitrine, a dégrafé mon soutien gorge tel un expert, en tous cas si je me réfère à Léo. J'étais en état de sidération, muette. Sur le coup, aucune remise en question ne m'a effleurée, ce prêtre agit au nom de Dieu dans un lieu saint. Seigneur, que dois-je faire ? Est-ce que c'est vous qui voulez que j'endure cette pénitence ? Le serviteur ne peut pourtant pas être au-dessus du christ. Je vous en prie Seigneur, éclairez-moi ...
12 décembre.
Dans chacune de mes prières, je demande à Dieu son pardon et j'implore sa bénédiction. Toute la scène où l'abbé m'a touchée partout tourne en boucle dans ma tête toute la journée, de 5H15 à l'office de Vigiles jusqu'aux Complies le soir, le film ne me quitte pas. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée d'en parler à la Mère Supérieure, j'ai peur de sa réaction.
19 décembre.
Je me suis un peu calmée mais sans retrouver la sérénité que j'avais acquise avant mes deux entrevues avec l'abbé Frédéric. Aucune solution ou réponse ne m'est apparue, j'appréhende la troisième leçon, je vais tenter une discussion avec le prêtre...
21 décembre.
Je me sens comme enfouie sous des tonnes de boue. J'ai eu beau tenté tout ce qui était à ma portée, d'abord la contradiction avec nos voeux de chasteté, balayée d'un geste par l'abbé car ce voeu même ne s'applique pas dans le cadre de nos relations d'enseignement spirituel, ensuite la menace de le dénoncer qu'il a rejetée en riant à gorge déployée, avant de me prévenir que cela se retournerait forcément contre moi. Enfin, étant lui-même serviteur de Dieu, était-ce vraiment la volonté de Dieu qu'il incarnait ?
Bien évidemment m'a t-il rétorqué sinon il ne me toucherait pas. Si je suis mariée avec Dieu, Dieu fait l'amour avec moi par son intermédiaire. Puis il a jeté un coup d'oeil à sa montre, a précipité ses mains sous mon habit qu'il a remonté jusque sur mon ventre, a retiré ma culotte, m'a arc-boutée sur la table en bois avant de me pénétrer. Cinq minutes plus tard nous étions debout face à face, il m'a donné l'absolution avant de sortir de la chapelle. Je suis tombée à genoux en pleurs devant le christ en croix. Souillée, dépravée, j'ai rejoint l'office du soir en sanglots, tête basse, en priant pour que personne ne remarque ma honte.3 janvier.
Les fêtes de Noël et de fin d'année ont été les bienvenues et m'ont occupé l'esprit en écartant toute cette histoire qui me ronge à l'intérieur. J'ai beaucoup travaillé avec les autres soeurs pour organiser les kermesses, récolter des dons et les redistribuer, et cuisiner des repas à emporter pour les pauvres. J'étais tellement exténuée le soir que je m'endormais sans penser à rien, ce qui m'a reposée, être utile est toujours stimulant.
10 janvier.
Je suis partie chez mes parents ce week-end, ils se languissaient de me voir puisque je suis restée à la congrégation pour les fêtes. Ils ne m'ont pas trouvée trés en forme, un peu amaigrie, et pas si joyeuse que ça. Je n'ai pas osé leur parler de mon tourment même si c'était peut-être les seuls à qui j'aurais pu me confier. De retour dans ma communauté, l'angoisse m'a reprise. Ma prochaine entrevue avec le prêtre est dans trois jours et j'en tremble déjà.
14 janvier.
L'horreur. L'enfer. Je ne décrirai plus rien dans ce journal, ce prêtre m'a réduite à une esclave sexuelle. Il ne prend même plus la peine d'inventer des excuses théologiques, je dois prendre une décision mais laquelle ? J'ai tellement honte d'avoir profané mon voeu de chasteté, il ne faut pas y ajouter le parjure, à savoir dénoncer un prêtre. Mon Dieu, aidez-moi...

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UN HOMME PARFAIT
Short StoryRecueil de nouvelles : des femmes dirigeantes décident de se passer du genre masculin, Un homme nie la réalité, Un fils enterre son père, un homme largue sa femme pour une plus jeune, une rencontre insolite sur un site, un bienfaiteur de l'humanité...