Un Homme de Dieu

4 2 0
                                    


20 Juillet.

Aujourd'hui est un jour tellement extraordinaire, tellement spécial, que j'ai décidé d'ouvrir un journal intime pour écrire le récit de ma nouvelle vie.

J'avais senti cet appel monter en moi depuis deux ou trois ans, mais il me fallait d'abord passer mon bac et devenir majeure. Quand j'ai commencé à expliquer à mes parents que j'abandonnai tout à fait ma première idée, à savoir des études d'archéologie et d'histoire de l'art, leurs yeux se sont écarquillés tout rond. Et quand j'ai rajouté que j'étais prête à quitter Léo, mon petit ami, pour suivre cette voie, ils sont tombés des nues car j'avais déjà prévu d'habiter avec lui pendant mes études.

 D'ailleurs, Léo lui-même n'arrive pas à y croire, il me regarde comme une bête curieuse, il aurait préféré que je tombe amoureuse d'un autre garçon ou même d'une fille.

C'est pourtant arrivé tout simplement, par intérêt pour la structure gothique de la vieille église du XII ème siècle de mon quartier. Une sorte de Duomo comme on dirait en Italie, dont l'étonnante façade comporte 2 niveaux de galeries à arcades et une grande rosace. J'ai pris l'habitude d'y entrer pour étudier les fresques en trompe l'oeil évoquant la vie de Jésus et puis naturellement j'ai assisté à la messe chaque dimanche avant de rencontrer le prêtre.

J'ai découvert ma vocation en chantant ! N'ayant pas l'oreille musicale ni un timbre de voix particulièrement juste, j'avais d'abord traîné des pieds lorsqu'on m'avait demandé d'intégrer la chorale. Mais l'euphorie de ses voix rassemblées m'avait saisi le coeur, là, dans cette église aux vitraux colorés, nous inondant d'une lumière céleste, mon esprit s'est envolé vers le ciel, une révélation. L'amour de Dieu m'avait enveloppée et je voulais ne faire plus qu'un avec lui.

Depuis, tous les week-ends, j'aidais le prêtre, je lavais le parterre de l'église, j'accueillais les fidèles, et durant les messes, je chantais et louais Dieu, ce qui renforçait ma conviction de jour en jour. Au lycée, j'avais lu Blaise Pascal. Il expliquait que la foi pouvait arriver de deux façons, soit de manière innée, soit en pratiquant les rituels, nait le sens de la dévotion. Les mots répétés ont sculpté mon cerveau un peu comme l'appétit vient en mangeant. Lorsque j'entends : « Nous sommes rassemblés par l'esprit sain en un seul corps ». N'est-ce pas merveilleux ? Mon esprit en redemande...

Bref, comme je le disais, cher journal, aujourd'hui est arrivée une lettre de la congrégation de la Sainte Indulgence, située à trois heures de train d'ici, qui m'accepte en son sein à partir de septembre ! Je suis trop contente !!

3 septembre.

Lorsque j'ai débarqué du train sur le quai de la gare, je n'étais pas la seule à retrouver la mère supérieure qui nous attendait en aube grise. Cinq autres novices, entre 18 et 25 ans, m'accompagnaient pour rejoindre la communauté. Après que le bus nous a déposées au village le plus proche, nous avons cheminé une demi-heure sur un sentier caillouteux, trainant nos valises heureusement petites et légères, pour arriver sur le parvis de l'église mais sans y pénétrer. « Chaque chose en son temps » s'est écriée la mère supérieure.

Nous avons ensuite traversé un jardin dont une large partie est un potager, pour s'arrêter dans la cour pavée de l'imposante demeure. A une vingtaine de mètres, posée sur la gauche, j'ai remarqué une jolie chapelle blanche. Nous sommes montées au premier étage, réservé aux religieuses où la mère supérieure, de façon autoritaire mais bienveillante, nous a indiqué nos chambres, ou plutôt nos cellules monacales, dirais-je.

Le 2ème étage est pour les prêtres et le 3ème pour les invités. A chaque fois, c'est le même couloir de pierre sombre percé d'une vingtaine de portes en bois de part et d'autre. D'un ton lyrique, elle nous a enjoint à nous changer pour revêtir notre habit de religieuse avant de redescendre visiter le rez de chaussée.

Après l'entrée garnie de manteaux, vestes, habits de travail et chapeaux accrochés le long des murs, on pénètre à gauche dans une grande salle d'études comportant plusieurs tables rondes avec ordinateurs et écrans en lien avec le monde extérieur. S'ensuit une large bibliothèque où l'on peut s'installer à des bureaux pour consulter les ouvrages. Depuis l'entrée à droite, un vaste couloir mène à l'immense réfectoire où s'alignent trois séries de tables. Une sorte de porche le relie à la cuisine. Je m'y sens déjà comme chez moi.

7 septembre.

Je me réveille à 5H15 pour assister à l'office de Vigiles lorsqu'il fait encore nuit. Nous chantons des psaumes et écoutons deux ou trois lectures de la Sainte Écriture et des Pères de l'Église.


Après, on peut prendre son petit déjeuner, en self jusqu'à 7h00, au lever du soleil, où nous louons le Créateur qui nous offre un jour nouveau, et le Christ qui est la Lumière véritable. Quartier libre jusqu'à l'office de Tierce où nous concluons ensemble la prière personnelle et commençons la matinée de travail. Pour ma part, je m'attelle au ménage des parties communes et aide en cuisine. A 11H45, l'Eucharistie marque le sommet du jour, nous offrons toute notre vie à Dieu le Père par les mains du Christ, dans la joie de l'Esprit Saint.

Après la nourriture spirituelle vient la nourriture corporelle. Nous prenons notre déjeuner en commun, en silence, et un frère lit un livre pendant ce temps. Puis nous faisons la vaisselle tous ensemble avant un moment de détente quelquefois autour d'un café. L'office de None est un petit temps de prière pour nous remettre en présence de Dieu puis chacun vaque à ses occupations. J'aide au potager jusqu'à l'office de Vêpres à 18H30 où nous louons le Christ pour la journée qui s'est écoulée, et nous lui demandons de nous accompagner dans notre nuit.

Prière personnelle ou étude dans la paix du soir avant notre dîner en commun. Ensuite, réunion de communauté : enseignement du père abbé, et temps pour se demander mutuellement pardon si l'on a troublé l'ordre de la vie communautaire. Enfin l'Office de Complies est le dernier avant un repos bien mérité !

15 septembre.

Je suis donc une novice en formation au sein de l'église catholique. Dans la salle d'études, nous pouvons nous connecter directement au catéchèse enseigné par le Vatican, ils sont 30.000 serviteurs de Dieu au Saint Siège.

Aujourd'hui est consacré à la cinquième parole : "tu ne tueras point". Le pape en personne s'exprime : « On pourrait dire que tout le mal qui se réalise dans le monde se résume en cela : le mépris de la vie. Même la suppression de la vie humaine dans le sein maternel n'est pas juste. Il n'est pas juste d'éliminer un être humain même tout petit pour résoudre un problème. C'est comme louer les services d'un tueur à gages pour résoudre un problème ».

Je n'aurais jamais osé cette comparaison, l'image frappe fort. Je m'interroge tout de même, il y a des situations délicates, une femme n'avorte jamais de gaité de coeur, mais je m'en remets à l'enseignement de Dieu.

.

UN HOMME PARFAITOù les histoires vivent. Découvrez maintenant