Chapitre 3

7 1 0
                                        

20 janvier.

Avec six autres novices, nous avons rendu visite à une communauté religieuse à cent kilomètres d'ici durant deux jours. C'était l'occasion de me décharger de mon fardeau et j'ai demandé à me confesser. L'abbé qui m'a entendue ne m'a pas soulagée loin de là, à croire qu'ils sont tous solidaires si ce n'est pervertis. Il a commenté mes propos de la manière suivante : la sexualité est un mystère immense, c'est une grande grâce que tu vis, ou encore : c'est un exercice de pénitence auquel tu dois te soumettre !

20 janvier.

La réponse du prêtre de l'autre communauté m'a tellement interloquée que j'ai oublié de signaler qu'à notre retour, j'ai pris à partie les deux autres novices qui suivent l'enseignement de l'abbé Frédéric. Après avoir tourné autour du pot un moment, nous nous sommes toutes les trois rendues à l'évidence : il abuse de nous toutes. Elles sont dans le même désespoir que moi et ne savent pas vers qui se tourner. Mon Dieu, comment peux-tu nous infliger de telles souffrances ?

1er février.

Dorénavant, même lorsque ce n'est pas mon tour, je pense à Liliane et Véronique lorsqu'elles sont à la chapelle, seules avec ce maudit prêtre. C'est terrible, nous ne voyons pas d'autre solution que de renoncer à Dieu pour échapper à cette soumission. Nous sommes comme des petits oiseaux hypnotisés par la vipère, nous pourrions nous envoler mais nous n'y arrivons pas. Nous sommes dominées, spirituellement et physiquement.

15 février.

Je suis fière de moi, j'ai trouvé une excuse pour ne pas rencontrer l'abbé ce soir. Je suis d'abord allée voir la mère supérieure après le déjeuner pour qu'elle me dispense du potager cet après-midi sous prétexte que je me sentais nauséeuse et la prévenir que si ça ne s'arrangeait pas, je resterais dans ma chambre jusqu'à demain. Le seul hic, c'est que je ne me sens vraiment pas bien.

23 février.

Je vomis tous les matins et je n'ai pas mes règles ! J'en déduis que je dois être enceinte...Mon Dieu, c'est votre enfant, je ne peux pas le cacher, en tous cas pas très longtemps. D'un côté, ça m'arrange, c'est une bonne raison de ne plus voir l'abbé seul à seule, de l'autre, que va-t-il advenir de moi ? Je n'ai pas d'autre solution que de déballer mon sac à la Mère Supérieure dés demain matin !

24 février.

C'est après l'office des Vêpres que j'ai parlé à la Mère Supérieure dans son bureau. Elle est restée muette un moment après m'avoir écoutée, puis des larmes ont roulé sur ses joues avant qu'elle ne s'exclame : "ma pauvre petite, vous n'êtes malheureusement pas la première et c'est vous qui devrez en payer le prix !" Elle m'a ensuite expliqué son impuissance et son manque d'autonomie, elle aussi est sous les ordres des prêtres.

En résumé ils vont me renvoyer de la congrégation, m'exiler sans logement, sans argent, et lorsque j'accoucherai, je devrai offrir l'enfant à Dieu. J'ai bien compris qu'il s'agissait de donner l'enfant à l'adoption. Ensuite, libre à moi de revenir si je veux. J'étais anéantie ! Mon Dieu, quelle injustice en ton sein ! J'ai un mois pour partir d'ici et en attendant, je dois m'isoler au 3ème étage dés samedi prochain afin que personne ne soupçonne mon état...

27 février.

J'ai emménagé au 3ème dans une chambre plus grande et plus confortable avec toilettes et salle de douche privée. Les invités sont bien traités. C'est la Mère Supérieure elle-même qui m'apporte mes trois repas par jour et elle a annoncé à toute la communauté que j'étais partie ! Ce soir elle est montée me voir avec l'abbé Frédéric, j'étais terrorisée et leur discours m'a donné envie de mourir. Mains dans le dos, le prêtre tournait en rond dans ma chambre, la sueur au front, répétant qu'il ne pouvait pas tolérer ce genre de problème. Me laisser accoucher nuirait à sa réputation et à celle de la communauté. Il fallait que j'avorte ! La mère Supérieure a surenchéri, tâchant de me rassurer : "on va t'enlever tout ça, ne t'en fais pas, je vais te donner une adresse fiable !". Je suis restée ébahie en les fixant l'un après l'autre. "Ai-je bien entendu ? Vous me demandez de commettre ce qui est un crime absolu pour l'église ?". Ils ont quitté la chambre sans répondre ni même me lancer un regard. Je n'ai plus qu'à me préparer à rentrer chez mes parents. Je me demande bien quel genre de menaces pèse sur la mère supérieure pour qu'elle soit obligée de couvrir les méfaits de ce prêtre...

15 mars.

Lorsque je suis arrivée chez mes parents, le printemps m'y attendait déjà, mince consolation à mon âme en errance. Après la stupéfaction, le désarroi s'est emparé d'eux après avoir écouté mon récit. Même au 21ème siècle, au sein de l'église, le mal s'insinue dans le coeur des serviteurs de Dieu. Mes parents ne savent pas quoi me conseiller, dois-je suivre les directives de ma communauté alors qu'ils m'ont chassée ou dois-je garder l'embryon qui pousse en moi afin de respecter la vie ? Quelque soit la force de la révolte qui m'habite, je ne me résous à aucune de ces deux solutions.

20 mars.

J'ai ôté l'habit de religieuse bien sûr depuis que j'ai réintégré la maison parentale et ne fais plus mes prières à l'exception de celle du soir où je me sens encore en lien avec ma communauté. Hier soir, après une énième discussion avec mes parents, j'ai suivi leur avis, je ne dois pas gâcher ma propre vie, j'ai donc rendez-vous dans une semaine pour avorter. Puisque c'est l'église qui m'y pousse et que c'est à cause d'un homme de Dieu que je suis enceinte, la décision ne m'appartient donc même pas et c'est une façon d'obéir à Dieu, non ? Et puis mettre un enfant au monde dont je hais le père, parce que oui, la haine a empli mon coeur maintenant, est insensé.

27 mars.

Voila, je me sens très triste, c'est comme si on avait arraché un bout de mon coeur et de mon corps à l'intérieur, mais c'est fait.
Je vais écrire à la Mère Supérieure pour le lui annoncer, je suis curieuse de connaître sa réaction.

2 avril.

Je viens de recevoir la réponse de la Mère Supérieure, quelque part je suis sûre qu'elle a pleuré en écrivant cette lettre. Il nous est impossible de vous accueillir à nouveau au sein de notre congrégation ni dans aucune autre m'explique t-elle. Je sens la main du père Frédéric derrière tout ça. Je n'avais nullement l'intention d'y revenir mais la colère m'envahit tout de même. Il faut faire bouger les choses, je ne peux pas admettre que l'église catholique sacrifie toutes ses religieuses abusées et les réduise au silence. C'est encore pire que dans une société normale où l'on peut au moins réclamer justice. Ils ont brisé ma vie et mon âme. En fait je suis hors de moi et un nouveau sentiment inconnu jusqu'à présent parcourt mes veines : la vengeance !

10 avril.

Je ne serais jamais assez méchante pour me venger réellement mais j'ai pris le parti d'agir. J'ai préparé un brouillon de lettre au Vatican du style : excusez-moi d'écrire cela, je ne suis pas folle et le mal ne m'habite pas, mon amour de Dieu était parfaitement pur etc...Avant que je ne résume grosso modo, tout ce qui m'est arrivé et dénonce l'indifférence de l'institution à laquelle j'ai prêté allégeance. Je conclus par le fait qu'une religieuse abusée a sa foi ébranlée et peut rejeter Dieu ...Mes parents m'approuvent et me soutiennent, je vais me battre pour diffuser cette lettre autour de moi et si possible dans la presse... par moments, je ne peux m'empêcher de penser : Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonnée ?


UN HOMME PARFAITOù les histoires vivent. Découvrez maintenant