Chapitre 5

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Je me relève hagard, le nez en sang. Mais il ne m'en fallait pas plus pour repartir avec une nouvelle énergie, celle de la vengeance. J'appelle un taxi pour m'emmener à l'hôpital. Je prends mon visage en photo, passe des radios que l'on me remet avant qu'un médecin m'examine. Ce dernier établit un rapport puis un infirmier s'applique à me soigner et panser mon nez.

Le visage bandé comme une momie, je ressors, hèle à nouveau un taxi jusqu'à chez moi. A peine rentré, j'ouvre mon ordinateur et la colère coule dans mes doigts courant à tout allure sur mon clavier. Prépare-toi à un sacré scandale JG !

Je ne cache rien de tes propos obscènes comparés à tes soi-disant engagements pour l'humanité, de ton humour graveleux sur les migrants, de ta philanthropie pour les laissés pour compte de la société, que non seulement tu emprisonnes mais que tu maintiens en cage de la pire façon qui soit. Même les animaux sont mieux lotis.

Brutal, autoritaire, intrigant, lèche botte et dépravé, voila le portrait que je dresse de toi. Et puisque tu m'as menacé, je rajoute tout ce que Melody voulait et les déclarations secrètes de Jim en plus de mon passage à tabac pour m'intimider.

Je trie les photos de mon visage tuméfié puis en sélectionne une que je positionne en vis à vis d'une autre de JG que je retouche en projetant une lumière crue en plein sur sa face afin de lui donner un air bien plus vieux.

3 heures du mat, je termine ma mise en page avec tous ces éléments, sauvegarde le tout et par précaution l'envoie par mail au journal avant de me fumer un joint uniquement par la bouche qui est miraculeusement indemne, et de me coucher.

Le lendemain matin à 8H00, c'est avec la tête enrubannée que je débarque dans le bureau de Brad.
— Putain mec ! C'est toi Dany ?
— Tu vois où ça m'a mené ton reportage sur JG ! Figure-toi que j'allais renoncer à cet article, te dire que je n'avais rien à reprocher à JG de plus que n'importe quel homme dans sa situation.

Qu'il mente, qu'il trompe sa femme, qu'il prenne de la coke, qu'est ce que ça peut faire ? Aucun homme n'est parfait...Mais là, il a dépassé les limites ! Ce que tu vois là, dis-je en désignant mon visage, c'est son oeuvre !
— Tu as dû sacrément l'énerver mec ! Qu'est-ce que t'as foutu ?
— Je t'ai envoyé mon article, ouvre ta boite mail.
Tandis qu'il le lit, je lui raconte mes aventures. Brad repousse sa chaise de devant son écran et plante ses yeux droit dans les miens :
— Un beau salaud à ce que je vois !
— Une sous-merde !

Il laisse passer un long moment de silence avant de reprendre :
— Mais on a un problème Dany !
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Je ne sais pas si la direction publiera !
— Tu rigoles ou quoi ? Tu t'attendais à quoi en me confiant le job ? Je croyais que News-World se distinguait des autres journaux parce que vous ne pratiquez pas la langue de bois ?
— Je sais, mais là c'est chaud...

Je m'affale dans son fauteuil en cuir et allume une cigarette que je fume par la bouche tandis que Brad fait de même. Les volutes de fumée montent en l'air, je ronge mon frein, Brad tire sur sa clope tout en répondant à des messages sur ses portables dont la sonnerie de l'un retentit. Enervé, je me lève d'un bond et quitte son bureau en claquant la porte.

Je marche dans le froid et respirer par la bouche me file une migraine épouvantable. Je m'abrite à l'intérieur de mon habituel café.
— Putain Dany ! Je t'avais pas reconnu, qu'est-ce qui t'es arrivé ?
— Je t'expliquerai, sers-moi un grog s'te plait.

En attendant j'appelle Melody et l'informe que son mari a envoyé ses acolytes me casser la gueule ou plutôt le nez pour m'empêcher d'écrire mon article et de tourner autour d'elle. En fait j'ai peur de rentrer chez moi car ils vont justement s'apercevoir que je l'ai contactée. Du tac au tac elle propose en me tutoyant :
— Tu es où là ?
— Dans un café, au Chiquito près du journal...
— Je passe te prendre tout de suite !

J'espère qu'elle ne va pas m'envoyer son chauffeur qui va se faire un plaisir de prévenir JG. Je bois mon grog cul sec, laisse l'argent sur le comptoir et sors sur le trottoir pour guetter sa voiture. Dix minutes plus tard, une Smart électrique s'arrête à ma hauteur, j'aperçois Melody au volant qui me fait signe et je m'engouffre dans la voiture qui redémarre aussi sec. Je déballe toute l'histoire à Melody et l'avertis que tout cela est vain puisque je ne suis même pas sûr de la publication de l'article.

Bien que concentrée sur sa conduite, épiant sans cesse les rétroviseurs, elle m'écoute attentivement et m'annonce :
— Je vous emmène dans un endroit où nous trouverons sûrement une solution.

Nous circulons dans les rues de la ville environ quinze minutes avant de s'engouffrer dans un parking souterrain puis de prendre l'ascenseur de l'immeuble jusqu'au 4ème étage. Melody appuie sur une sonnette au-dessus d'une plaque gravée : Maitre Hubert - Avocat, et la porte s'ouvre.

Nous entrons dans un salon rouge longé sur la droite par un meuble de réception derrière lequel une femme d'un certain âge se lève et nous invite en souriant à nous asseoir, l'air nullement étonné par l'état de mon visage. Cinq minutes plus tard, nous sommes dans le bureau de l'avocat et Melody balance son sac et son manteau sur le canapé d'une manière familière, dévoilant un chemisier de soie bleue sur un jean serré.
— Figurez-vous Maitre que News-World ne publiera pas l'article qu'a écrit Dany !

Maître Hubert, longiligne, la cinquantaine distinguée et bourgeoise, hausse les sourcils sous ses cheveux gris tout en s'adressant à moi :
— Que vous est-il arrivé ?
Melody ne me laisse pas le temps d'ouvrir la bouche :
— JG a été plus rapide que nous Maître, ses gardes du corps l'ont menacé et voila le résultat ! Il a payé cher notre manque d'anticipation. Et maintenant, notre stratégie tombe à plat alors que tout s'était déroulé comme prévu.

A mon tour d'écarquiller les yeux en les regardant l'un après l'autre :
— Que voulez-vous dire ?
Maître Hubert s'éclaircit la voix avant de répondre :
— C'est grâce à Melody que News-World a été convié à la conférence malgré les réticences de l'état -major de JG et nous avions projeté de profiter de votre article pour qu'elle fasse sa demande de divorce par voie de presse. Il y a un moyen de voir votre article ?

J'ouvre le document sur mon portable que je lui tends. Après avoir parcouru l'ensemble, il s'exclame :
— Portrait au vitriol, mes compliments...Si vous pouviez rajouter qu'en conclusion, Melody demande officiellement le divorce, je me chargerai de convaincre vos supérieurs.
Etonné, j'acquiesce :
— Pas de problèmes, je peux le faire d'ici et renvoyer le tout au journal.

Je rectifie mon texte puis le soumets à l'avocat pour approbation.
— C'est parfait comme ça.
— Voila, c'est parti dis-je en appuyant sur « envoi ».
— Très bien, pouvez-vous m'attendre au salon tandis que je passe quelques coups de fil ?

Assis l'un à côté de l'autre face à la secrétaire bienveillante qui nous a ouvert tout à l'heure, je demande à Melody :
— Vous saviez que j'avais exploité les données de votre téléphone ?
Elle se met à rire :
— Je suis une bonne actrice n'est-ce pas ? Vous avez fait exactement tout ce que j'espérais, vous êtes parfait Dany. Et savez-vous ce que je m'apprête à faire lorsque j'aurais obtenu le divorce et tout l'argent qui va avec ?

Interloqué, je la regarde en secouant ma tête de droite à gauche.
— Et bien je vais tout distribuer à des associations caritatives ou des ONG humanitaires me déclare-t-elle fièrement.
Mon téléphone vibre, je le sors de ma poche et décroche. C'est Brad :
— Je ne sais pas comment tu t'es démerdé mec, mais la direction veut publier ta deuxième version d'article demain en première page !

UN HOMME PARFAITOù les histoires vivent. Découvrez maintenant