Chapitre 4

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En regardant mes collègues autour de moi, j'ai l'impression d'un mauvais film de science fiction des années 1970. Des filles en tenues suggestives, révoltées, exaspérées, décidant de l'avenir de l'homme. Je concède qu'il y a de quoi lorsque Laurie énumère :
— MetooIncest recueille 80000 témoignages par an, ce qui veut dire que 10% de la population est victime d'inceste. Une agression sexuelle est commise toutes les 9 minutes. Une plainte pour viol est déposée toutes les 40 minutes et seule 1 sur 100 aboutit. 98,4% des condamnés pour viol sont des hommes.
Robyn ne lève même pas la main et s'écrie :
— Ah, il est beau le résultat de tous nos efforts ! Combien de vagues féministes a-t-il fallu pour faire un pas de petit Poucet ! Ne me dîtes pas en plus que nous allons nous occuper des récriminations des hommes maltraités, je cauchemarde...
Ana relève :
— La culture du viol n'est pas une fadaise, le patriarcat produit des violeurs. Nous n'empêchons pas la prolifération de vidéos porno sur les réseaux sociaux, comme celles de haine raciale ou encore d'endoctrinement Djhadiste. Et nos jeunes tombent dessus dés qu'ils se connectent. Leur vision du sexe est pornographique. Rien n'a été fait jusqu'à présent pour contrer ce phénomène, y compris chez les filles qui se conforment à ce modèle parce qu'il n'existe pas de contre-exemples.
Un rictus aux lèvres, Laurie ajoute :
— Alors comment faire pour que les hommes cessent de violer ? Ils considèrent que le monde leur appartient comme les corps qui s'y trouvent. Nous n'injecterons pas de l'empathie en intraveineuse. Même si on leur inocule ce qu'il y a de plus high-tech dans les dernières recherches, on ne change pas leur égo à force de chimie dernier cri.
Je demande à Ana :
— Que donnent les rapports des psychologues sur l'analyse des traceurs des hommes au comportement problématique ?
— Rien de bien surprenant. Les moments où ils débloquent et distribuent des insultes ou des coups sont juste incompréhensibles, d'une banalité effrayante. Tout à coup ils pètent les plombs sur un ustensile ou une chaussette qu'ils ne trouvent pas, sur une remarque inoffensive qui semble les infantiliser ou les contrarier, sur un refus de sexe de leur compagne, sur une demande qui les humilie parce qu'elle ne correspond pas à leur rôle de mec...
Un silence s'ensuit où certaines lèvent les yeux au ciel, d'autres ont la mine défaite. Robyn est la première à reprendre pied et m'assène :
— Alors Debbie, on leur répond quoi et on fait quoi ?
— Et bien on va leur dire que nous nous occupons du problème, histoire de gagner du temps, et pour le reste, si on se préparait à un monde sans homme...
— Qu'est-ce que tu veux dire ? Intervient Laurie.
— Je ne sais pas trop moi-même, j'attends vos propositions...
Ana relève le défi :
— L'homme parfait est celui que l'on programme soi-même ...
Boël lance :
— Un androïde ? Ça me plait bien comme idée mais ça coûte super cher...
Je réponds :
— Sur le long terme, pas plus que notre politique de santé à l'égard des hommes qui n'aboutit à rien...
La timide Frankie écarte ses cheveux blonds et nous fixe de ses grands yeux bleus :
— Comment aura-t-on des enfants ?
Après deux bouffées intenses de vapoteuse, Ana rétorque :
— Allons ma chère, la plupart d'entre nous sont des SMC[1] qui ont recours aux banques de sperme, qui d'ailleurs, accusent une forte baisse de stock. Les couples qui se reproduisent de manière naturelle sont rares et seule une faible proportion y parvient, à cause de la baisse de fertilité féminine et masculine. La situation est déjà critique...A noter que le choix des femmes qui veulent une fécondation in vitro se porte en majorité sur une fille, là-dessus, ça règle une part du problème, mais voulons-nous la mort de l'humanité ?
Robyn s'emporte :
— Et pourquoi pas ? Comment peut-on être sûr que nos descendants seront heureux de vivre ? C'est très égoïste de concevoir un enfant sans savoir si nous lui offrirons un monde agréable ? La terre se portera mieux sans nous...
Laurie reprend :
— Bon, mais on va pas se suicider tout de suite, alors d'un point de vue pratique, qu'est-ce qu'on décide ? A court et long terme ?
Je m'entends dire :
— 1°) On arrête de s'occuper des mecs, on les laisse pourrir dans leur jus, on n'inocule plus rien pour les remonter, ils se démerdent...
Je crois qu'elles, et moi aussi, ne m'ont jamais entendue parler ainsi et la surprise allume tous les regards tandis que je continue :
— 2°) On suspend la FIV de celles ou ceux qui veulent des garçons.
Ana me jette un oeil soupçonneux :
— Tu veux dire que dans quelques années, la société se composera de filles, de femmes, d'androïdes et c'est tout ?
— Peut-être oui. 3°) Les garçons que l'on gardera auront une éducation spécifique afin qu'ils ne gardent rien du système actuel. Il faut les prendre en main tout petits pour les changer. La preuve est faîte par l'Epigénétique, ça marche. D'ici là, il faudra se contenter d'une offre de sperme inférieure à la demande.
Ana baisse la tête en souriant, Robyn jubile, Boël écarquille les yeux, encore sous le choc, Laurie est médusée, Frankie et les autres ont la mâchoire qui pend.
— Avez-vous des questions ?
Signes de têtes négatifs.
— Alors passons au vote. Celles qui approuvent les directives que je viens d'énoncer, lèvent la main.
Tour d'horizon de toute la table.
— A l'unanimité, adoptées ! Chacune doit apporter la semaine prochaine le détail de la démarche à suivre dans ce sens avec des échéances de budget et de temps. Merci à toutes.
Dans un brouhaha de chaises, la salle se vide. Seule Robyn, appuyée au chambranle de la porte me couve des yeux, admirative.
— Tu m'as bluffée...
— Tu vois, je suis capable d'être radicale dans mon genre...
— On va fêter ça ? Je t'invite au restaurant.
— Ok, c'est parti...Excuses-moi, juste le temps d'envoyer un message à Harry...
Sur le chemin de retour chez moi, je prie pour que Harry ne m'interroge pas sur la réunion comme il le fait parfois. Je ne saurais lui raconter tout de go ce qui vient de se passer. L'appartement est silencieux, il n'est pas encore rentré. Je choisis un morceau des Rolling Stones « I can't get no satisfaction » et appuie sur Play. Je monte le son à fond et me mets à chanter et danser. J'ouvre l'une des baies vitrées, appuie mes coudes sur le balcon et offre mon visage à la faible lueur du soleil déclinant. Sous mes pieds la ville resplendit d'espoir de lendemains meilleurs. Adieu aux patriarches, aux petits chefs, aux queutards, aux peloteurs, aux briseurs de leur épouse, aux bourreaux de leur fille, aux pères craints de tous...Le froid me gagne et je retourne à l'intérieur pour me changer dans la chambre. La porte de la penderie de Harry est grande ouverte sur du vide ! Seul un pull noir oublié traîne par terre. Bien que déconcertée, je m'aperçois que je ne ressens rien. J'attrape le pull dans mes bras, un parfum inconnu en émane. Au moment où je le balance dans le panier de linge sale, un long cheveu blond emprisonné dans les mailles brille avec indécence. Je pousse un long soupir.



[1] Single Mother by Choice.

UN HOMME PARFAITOù les histoires vivent. Découvrez maintenant