Pard

Chapitre 8

     Au petit matin, le chat sylvestre la quitta. Ils avaient bien chassé, bien mangé et s'étaient tenus chaud mutuellement, mais chacun avait ses propres affaires à mener. Le chat partit en quête de nouvelles proies et Pard poursuivit son exploration de la forêt car elle pressentait que celle-ci était loin de lui avoir livré tous ses secrets. Elle croisa de nombreux animaux, s'étonnant d'entendre leurs voix résonner dans sa tête. Un vieux blaireau râlait à cause du bruit que faisait un cerf en passant et repassant au-dessus de son terrier. Le cerf lui cherchait une biche dont il sentait vaguement l'odeur, mais qu'il n'arrivait pas à localiser précisément. Des oiseaux criaient leur joie, leur faim ou leur colère face à ceux qui envahissaient leur territoire. La jeune fille avait la tête qui tournait face à tout ce brouhaha. "Respire profondément et imagine une porte qui se ferme et toutes ces voix vont se taire ! lui conseilla une voix plus calme que les autres." La métamorphe tenta avec succès cette méthode.

Elle chercha celle qui lui avait donné ce conseil, mais ne vit personne. Intriguée, elle poursuivit sa route, certaine que tôt ou tard, l'inconnue se montrerait. En arrivant près d'une clairière, elle vit d'abord la haute silhouette d'un homme, un véritable géant, caché derrière des buissons. Il observait une jeune fille qui ramassait des herbes dans la clairière. Pard redevint chat. Elle se méfiait des hommes en général, mais encore plus de ceux qui se comportaient de manière louche. Elle se percha dans un érable et se rapprocha de la scène. L'homme était bien plus jeune qu'elle ne l'avait cru, trompée par sa haute taille. Il avait à peu près son âge. Il n'était pas vraiment beau, mais elle trouva son visage agréable. Pour l'heure, il était tout entier concentré sur la fille de la clairière, dont il suivait avec une sorte d'avidité chacun des gestes. Elle resta à le surveiller au cas où il déciderait d'attaquer la malheureuse. Mais il demeura immobile à son poste d'observation.

L'inconnue se leva, son panier rempli, puis elle s'éloigna lentement, retournant probablement à Drys. Le géant poussa un soupir et attendit qu'elle ne soit plus visible pour sortir de sa cachette. Pard ressentit sa tristesse et sa solitude. Elle allait aller vers lui, lorsque la voix la stoppa net : "Laisse mon garçon, dit-elle. Ces sentiments font partie des choses qu'il doit apprendre à surmonter. Glisse-toi entre les frênes que tu vois là bas et marche jusqu'à rencontrer une petite mare. Je te rejoins là-bas. Il serait bon que nous discutions toutes les deux." La métamorphe caressa un instant l'idée de lui désobéir, d'aller vers le garçon et d'ignorer la voix, mais à peine avait-elle eut cette pensée qu'un grondement bien physique se fit entendre. Une énorme ourse attendait près des frênes, la regardant droit dans les yeux. Était-ce donc sa voix qu'elle avait entendue ?

Elle alla dans sa direction sans crainte. Au pire, il lui suffirait d'adopter elle aussi la forme d'une ourse pour se défendre... ou d'un autre animal. En la voyant s'approcher, la grosse bête se mit en route d'une démarche nonchalante. Près de la mare était assise une femme. Elle avait les traits typiques des elfes. Elle sourit à Pard et lui fit signe de la rejoindre sur la souche où elle s'était installée.

— Bonjour Pard ! lui dit-elle. Soit la bienvenue dans mon modeste domaine.

— Comment connaissez-vous mon nom ? demanda la jeune fille retrouvant sa méfiance.

— Toute la forêt le connaît depuis que tu as mis un pied parmi nos arbres ou plutôt, une patte devrais-je dire. Tu as même fait l'objet d'un débat par nos esprits animaux. Les uns voulaient t'expulser, les autres voulaient te mettre à leur service, mais l'esprit loup a déclaré que tu étais sous sa protection et tout est rentré dans l'ordre.

— Dans ce cas, pourquoi vouliez-vous me parler ? demanda Pard.

— Droit au but, j'aime ça, dit la femme. Eh bien, je ne vais pas tourner autour du pot non plus. Tout d'abord, je suis la gardienne de cette forêt, je m'appelle Ti Anh. C'est à moi de décider si quelque chose ou quelqu'un représente une menace pour cette forêt et ses hôtes. Ensuite, tu as des capacités tout à fait particulières qui risquent de perturber mon disciple... le garçon que tu as vu avant de venir.