Chapitre 22

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     Pard n'arrivait pas à détacher ses yeux du vagabond crasseux qui dévorait à belles dents le cuissot de cerf offert par Delha et que la jeune fille avait dû cuire pour son invité surprise (avait-on idée de gâcher ainsi de la bonne viande ? avait grognée l'ourse). Il mangeait salement, sans se préoccuper de maculer sa barbe broussailleuse ni ses habits de toute façon pas très nets. Il essuya d'un revers de manche la graisse qui avait giclé sur ses joues, rota et jeta l'os rongé par-dessus son épaule.

— Mille merci gamine ! dit-il en lui faisant un clin d'œil. J'avais l'estomac dans les talons !

— Vous êtes vraiment mage ? demanda la métamorphe incrédule.

— Mage ? Grands Dieux, non ! répondit-il en éclatant de rire. Heureusement que la magie n'appartient pas à ses gens-là ! Le monde serait tellement triste sinon... Delha ma belle, tu ne viens pas me faire un câlin ?

— Vas d'abord te tremper dans la rivière Engaris ! Tu sens plus mauvais qu'une charogne !

— Dans cette eau froide ? Ma bonne amie, tu es folle ! Je vais attraper le mort... Je n'ai pas de fourrure moi ! s'écria-t-il avant de se lever et de descendre malgré tout vers le cours d'eau. Et les filles, n'en profitez pas pour me regarder ! ajouta-t-il en se retournant à mi chemin.

— Vieux macaque ! gronda l'ourse. Ne t'avise pas de nous infliger ce triste spectacle ! Viens Pard, allons lui préparer un lit dans la cabane. Ces vieillards ont besoin de confort pour survivre !

— Nous retournons à la cabane de Ti Anh ? s'étonna la jeune fille.

— Lui... toi tu n'es pas obligée. Tu es la bienvenue dans notre grotte. Mais ne va pas attraper ses manières et son hygiène désastreuses ! Ma truffe a encore du mal à s'en remettre et je doute qu'un simple trempage suffise à le décrasser !

Cependant, ce fut presque un autre homme qui remonta de la rivière, frais, rasé et vêtu de propre. Il entra dans la cabane comme s'il était chez lui et sourit en voyant que la jeune fille lui avait préparé une couche près de la cheminée.

— Merci infiniment gamine, lui dit-il.

— Pard !

— Pard-on ? ricana-t-il tout seul.

La jeune fille le considéra avec raideur.

— Excuse-moi, fit-il sans avoir l'air vraiment désolé. Seul sur les routes, j'ai peu d'occasion de rire... alors je n'en laisse passer aucune ! Tu n'es pas du genre boute-en-train, toi...

Il soupira et s'assit sur le bord du lit, ôtant ses chaussures.

— Qu'est-ce que vous faîtes ? demanda la jeune fille sidérée.

— Eh bien, comme tu le vois, je m'apprête à me coucher, répliqua-t-il serein. La route fut longue et difficile. N'oublie pas de me trouver quelque chose à manger pour mon réveil ! Autre chose que de la viande... Des fruits et du pain, avec un peu de fromage, ce serait parfait !

La métamorphe émit un grognement qui n'avait rien d'humain et une grande panthère furieuse sauta par-dessus l'homme pour disparaître par la porte.

— Ah cette jeunesse, commenta celui-ci en secouant la tête. Elle aurait au moins pu fermer la porte...

Au petit matin, c'est une Pard maussade qu'il trouva au pied de son lit. Elle s'était faite louve et cracha un lapereau cru et sanguinolent sur le sol.

— Bon appétit, dit-elle en sortant de la maison.

— Hé ! Attend ! J'avais demandé du fromage et des...

PardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant