Chapitre 30

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     La cabane de Ti Anh avait retrouvé des allures de foyer. Orava était une enfant merveilleuse, gaie, curieuse et très intelligente. Son plus gros défaut était une tendance à la paresse à laquelle elle se laissait volontiers aller. Pard devait régulièrement la pousser à travailler, mais dès qu'elle tournait les talons, la fillette abandonnait sa tâche pour vaquer à d'autres occupations. Elle s'était fait des dizaines d'amis parmi les animaux de la forêt, en particulier l'oursonne de Della avec laquelle elle disparaissait des heures durant. La métamorphe avait vite découvert que ses pouvoirs ne se réduisaient pas à la magie. Orava savait parler aux arbres et aux animaux, sans doute plus facilement que Pard elle-même. Ses dons de télépathe lui permettaient aussi de communiquer avec n'importe qui et elle ne s'en privait pas, discutant avec toutes sortes de gens plus ou moins éloignés de la forêt. D'une certaine manière, l'enfant faisait son éducation elle-même, allant chercher le savoir à sa source. Elle connaissait par cœur la géographie du continent grâce à un elfe qui vivait dans la cité secrète de la forêt ténébreuse. Elle battait Pard à plates coutures sur le domaine des mathématiques et des lettres, ses "professeurs" se situant respectivement à Kruptos et à la cité des voleurs. La magie même, lui était enseignée par un mage bougon de la tour céleste, qu'Orava harcelait sans vergogne pour apprendre de nouveaux sorts.

Heureusement, certaines matières n'appartenaient qu'à Pard. Elle apprenait à sa petite protégée à se sustenter en forêt, aussi bien en cueillant des baies ou des herbes qu'en chassant. Elle lui montra comment se construire un abri rudimentaire ou faire un feu sans provoquer d'incendie. L'enfant savait à présent s'orienter à coup sûr et éviter les pièges de cette forêt si particulière qui n'aurait fait qu'une bouchée d'elle. Elle connaissait les habitants de la forêt qu'elle pouvait fréquenter et ceux qu'il fallait absolument éviter. Elle entretenait une relation privilégiée avec les esprits animaux. L'esprit hibou venait souvent se poser près d'elle et ils avaient de longues discussions auxquelles Pard n'était pas conviée.

La métamorphe aimait cette nouvelle vie, jamais ennuyeuse comme elle aurait pu le craindre. Elle s'attachait de plus en plus à Orava et considérait à présent la cabane de Ti Anh comme la sienne. Alors qu'elle se croyait à l'abri, le danger pointa le bout de son nez. Tout commença par un frémissement dans les arbres. Une inquiétude volait de branche en branche, gagnant en ampleur à chaque instant. Les oiseaux s'affolèrent les premiers. On les vit s'éparpiller aux quatre coins de la forêt en poussant des cris d'angoisse. Les petites bêtes les suivirent, chats, écureuils, lapins qui détalaient en tous sens. Quand les sangliers se mirent à piétiner la clairière, Pard sut que quelque chose de grave était arrivé. Elle sonda les bois par la pensée, cherchant l'origine du problème et son sang se glaça dans ses veines. Orava avait été enlevée. C'est elle qui avait provoqué cet affolement, transmettant sa peur à tous les êtres vivants qui se trouvaient autour d'elle. Ce qui acheva de paniquer Pard fut qu'elle ne parvenait pas à entrer en contact avec la fillette. Soit elle était inconsciente, soit elle... Non, non, non ! Elle se refusait à seulement y penser !

Elle courut à vive allure jusqu'au dernier endroit où la forêt se souvenait d'avoir entendu l'enfant, adoptant tour à tour différentes formes jusqu'à trouver le lieu en question. Entre deux arbres, l'herbe avait été piétinée et l'odeur de la peur imprégnait encore les feuilles mortes. L'odeur de l'agresseur était encore très présente. En grondant la métamorphe la renifla pour bien s'en imprégner. Elle n'eut pas à se pencher longtemps sur la piste. Elle connaissait l'ennemi, elle l'avait longuement côtoyé : son père adoptif ! Comment avait-il osé s'en prendre à la petite ? "Sa" petite ? La panthère en elle feula. Elle allait le lacérer de ses griffes ! Et s'il avait fait du mal à Oraval, elle le dévorerait !

Il était parti en direction de Drys. Cela rendait la jeune fille perplexe : étonnant pour quelqu'un qui détestait les humains ? Mais peu importait pourquoi il s'était rendu là-bas. Elle connaissait mieux les lieux que lui et détenait donc l'avantage. Aux abords des remparts, elle dut reprendre la taille modeste d'un chat pour entrer sans encombre. Sans surprise, la piste menait vers les bas quartiers de la ville. Voilà qui correspondait bien au personnage ! Il était à sa place parmi les racailles et les vermines qui vivaient là ! Les effluves s'arrêtaient devant une vieille maison aux murs fendillés et noirs de suie. La porte était entrouverte. Pard s'y glissa rapidement.

Mais plus rapides encore furent ceux qui l'attendaient là. On lui jeta un sac sur la tête et plusieurs hommes lui tombèrent sur le dos tandis qu'elle redevenait panthère. Elle eut beau se débattre, on lui posa des entraves dont elle ne put se défaire et qui bloquèrent son pouvoir. Saletés d'objets magiques ! se disait-elle en se tortillant.

— Tu ne pourras pas t'en défaire, fit la voix de son ex-père. Tu perds de l'énergie pour rien. Sois sage et je te tuerai proprement. Je le dois à notre famille et à son honneur.

— Où est l'enfant ? grogna Pard à travers le sac.

— Elle fait partie du paiement de ces messieurs... les esclaves, surtout jeunes valent beaucoup d'argent dans certaines parties du monde !

— Ce n'était pas ma question ! Où est-elle ? cracha la métamorphe furieuse.

— Qu'est-ce que ça peut bien te faire ? Voilà bien une chose qui ne devrait pas te préoccuper. Ce n'est qu'une simple humaine. Pard, tu n'aurais jamais dû venir au monde ! Je vais corriger cette erreur tout de suite. Tenez la fermement, je me charge de la suite, dit-il en se transformant en loup massif.

Il avança, la gueule grande ouverte dans l'intention visible de l'égorger. Immobilisée à la fois par la poigne de ses geôliers et par les entraves qui coupaient court à toute forme de magie, la jeune fille était impuissante. C'est alors que la porte d'entrée vola en éclats. Un homme gigantesque se tenait dans l'encadrure. À contre jour, on ne distinguait pas son visage mais Pard le reconnut. C'était Gorok ! Il se précipita d'abord sur le loup dont il brisa l'échine à mains nues avant de se tourner vers ses complices qui n'en menaient pas large. Il ne leur laissa pas le loisir de fuir. Il les empoigna un par un et les jeta contre les murs où ils s'assommèrent. Puis il se pencha sur Pard pour lui ôter ses entraves et la débarrasser du sac toujours sur sa tête.

— Bonjour le chat, dit-il. Est-ce que tout va bien ?

— Oui, moi ça va... Mais je dois trouver ce qu'ils ont fait de ma petite ! répondit-elle en se levant péniblement.

— Ne t'inquiète pas pour elle, elle va bien. Je l'ai confiée à mon amie Aliéka. Elle est en sécurité à l'académie de magie.

— Mais comment as-tu su ?

— Où te trouver ? Et où trouver Orava ? C'est elle qui m'a appelé. Son esprit est puissant et surtout... c'est une enfant d'Aérion, tout comme moi !

— Pas question que tu me l'arraches ! protesta la jeune fille en serrant les poings.

— Ce n'était pas dans mes projets, l'assura-t-il. Que dirais-tu de partager son éducation avec moi ?

— Je ne veux pas vivre à Drys !

— Rassure-toi, moi non plus... plus maintenant ! Tu viens ? ajouta-t-il en lui tendant la main.

— Où ça ? demanda la jeune fille méfiante.

— À la maison bien sûr !

Pard attrapa les doigts qu'il lui tendait. Elle avait mal au crâne et une vilaine nausée faisait chavirer son estomac, néanmoins, c'était une belle journée qui s'annonçait !

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 27, 2021 ⏰

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