Pard

Chapitre 18

     L'eau était étonnamment chaude. Pard avait retrouvé sa forme humaine sans bien comprendre comment... Elle se croyait pourtant trop affaiblie pour un tel exploit. Un murmure inintelligible lui parvenait, émanant des quatre coins de la grotte. Les esprits psalmodiaient elle ne savait quelle incantation. Des herbes médicinales avaient été jetées dans le bassin et leur odeur l'étourdissait. Peut-être était-elle droguée ? Elle avait l'impression de flotter hors de son corps. Physiquement, elle ne sentait pas grand chose, elle était comme engourdie. En revanche, elle avait pleinement conscience de ce qui se passait autour d'elle. Les yeux grand ouverts, elle contemplait la voûte de la grotte où s'agglutinaient des cristaux bleus qui donnaient cette lumière si particulière. Des éclats plus clairs créaient l'illusion de se trouver face à un ciel étoilé. La voix des esprits s'intensifia et Pard vit monter des volutes de fumée verte autour d'elle. Une femme se pencha sur elle. Elle avait de longs cheveux bruns et des yeux verts très lumineux. La jeune fille eut la vague sensation de la connaître. Elle connaissait en tout cas son parfum : c'était celui de la forêt après la pluie : eau, humus et feuilles mortes. Une main se posa sur son front, fraîche, apaisante.

— Petite sœur, repose-toi, lui dit-on dans une langue qu'elle comprenait sans jamais l'avoir parlée. Je veille sur toi.

— Qui êtes-vous ?

— Je suis celle qui marche parmi les bêtes. La forêt est mon royaume. Je suis ta reine, ta mère, ta sœur, ton amie... Près de moi, tu es en paix.

Même si ces mots n'avaient aucun sens pour elle, la métamorphe s'endormit, bercée par la douceur dont elle se sentait entourée.

À son réveil, elle n'était plus dans la grotte. On l'avait étendue sur une couche de feuilles et de fougères. Les arbres qui l'entouraient lui étaient inconnus. Ils avaient de hauts troncs, lisses et droits, légèrement argentés. Leurs ramures s'entremêlaient laissant filtrer une lumière tamisée, éclaboussée des teintes vertes et dorées des feuilles. Des milliers d'oiseaux peuplaient les cimes, chantant la joie d'être vivants sous le soleil. Pard leur envia cette joie toute simple. Mettre un pied au sol lui fut pénible. La terre tanguait sous ses pas. Cela lui prit du temps de se sentir assez stable pour avancer. Elle alla visiter cette forêt qu'elle voyait pour la première fois. Tout était étrange ici : les arbres, magnifiques mais déclinant des couleurs inhabituelles, les fleurs, exubérantes, au parfum suave et sucré, les champignons très colorés, la mousse enfin qui couvrait presque tout le sol, duveteuse comme de la plume.

— Tu es ici dans mon palais, lui dit la femme qui l'avait soignée avec les esprits animaux. J'espère que tu aimes. Je me suis donnée beaucoup de mal pour créer cet endroit.

— Vous avez créé cette forêt ? s'ébahit Pard. Mais qui êtes-vous ?

— Vraiment, tu ne sais pas ? s'amusa la femme. Je suis Céléna, l'esprit de la forêt. Ton peuple, les mégamorphes, sont mes enfants. C'est moi qui les ai dotés de tels pouvoirs.

— Je ne suis pas une mégamorphe, mais une métamorphe, corrigea Pard.

L'esprit répondit par un rire.

— Je sais mieux que toi ce que tu es, fit-elle. Mais tu as raison, tu n'es pas une mégamorphe non plus... Tu es bien plus que cela. Sais-tu ce que sont les enfants d'Aérion ?

— Non... Qui est Aérion ? demanda la jeune fille.

Céléna fut prise d'un fou rire.

— S'il t'entendait, il serait terriblement vexé ! Aérion est mon père. C'est l'esprit du ciel, le plus puissant d'entre nous. Ses enfants sont des êtres à qui il a confié de grands pouvoirs et qui ont pour mission d'empêcher Tiamat d'instaurer le chaos dans ce monde. Nous n'avons pas le droit d'intervenir en personne, c'est pourquoi nous avons besoin de serviteurs pour le faire... D'ailleurs Tiamat elle-même se sert d'envoyés. Dans la guerre que se livrent mon père et Tiamat, de nombreuses créatures dont je suis la protectrice, trouvent aussi la mort. C'est pourquoi j'ai décidé d'avoir moi aussi des enfants qui serviront les nôtres et les défendront. Tu es la première d'entre eux Pard.