Engaris se barbouilla de boue sous le regard médusé de Pard. Il frotta son visage, ses bras et ses jambes, ne laissant pas un carré de peau propre.
— Fais comme moi, encouragea-t-il la jeune fille. Désormais tu es une vagabonde et les vagabondes sont sales !
— N'importe quoi, dit-elle. Je suis une vagabonde depuis de nombreux mois et je déteste la crasse !
— J'entends bien gamine, mais c'est ce que les gens pensent... alors il vaut mieux être sale. Ainsi tu ne susciteras ni la curiosité ni la convoitise. Tu comprends ? Allez, ne fais pas ta mauvaise tête, un peu de boue ne te tuera pas et nous pourrons voyager tranquilles.
— J'ai beaucoup d'autres manières d'assurer ma tranquillité, affirma Pard en se changeant en chien. Je suppose qu'on ne vole ni ne viole les chiens non ?
— Ma belle amie, tu serais surprise de toutes les abjections dont les hommes sont capables ! Tâche de ne pas attraper de puces, tu veux bien ? J'ai ces bestioles en horreur !
Ils allèrent d'un bon pas vers l'Est. Ils traversèrent des villages sans que personne ne s'intéressent jamais à eux, sinon pour leur jeter des pierres en les traitant de va-nu-pieds. Parfois, on leur laissait manger des restes qu'on donnait d'ordinaire aux cochons. Engaris acceptait tout avec le sourire et un certain fatalisme. Pard bouillonnait. Son compagnon ne lui permettait pas d'aller chasser, arguant qu'ils n'avaient pas le temps de se prêter à ce genre d'activités s'ils voulaient arriver à temps pour rencontrer le pseudo père de Pard. Cet argument avait toujours raison de la résistance de la jeune fille. Elle ne savait pas ce qu'elle devait attendre de cette rencontre ni même si elle devait vraiment en attendre quelque chose, mais elle ne pouvait s'empêcher d'espérer de trouver enfin sa place quelque part.
Le climat se faisait de plus en plus frais puis ils finirent par rencontrer la neige. Engaris jura et grommela toute la journée. Pard, elle, adopta juste l'aspect d'un chien au pelage plus dru et put ainsi profiter de la beauté du paysage. Elle vit sa première chouette harfang et la trouva magnifique se promettant tôt ou tard de lui emprunter son apparence majestueuse. Une renarde polaire et ses petits lui arrachèrent des cris de joie. Comme ils trouvaient moins de villages sur leur route, il leur fallut s'abriter dans des refuges improvisés : des grottes, des troncs creux, des cabanes fabriquées à la hâte. Le vagabond se faisait plus silencieux. À la manière dont il grimaçait quand il se levait et se baissait, Pard comprit qu'il souffrait de douleurs aux articulations. Elle calqua son pas sur le sien et ignorant ses protestations, se transformait la nuit en ourse pour lui tenir chaud.
Ils finirent par arriver à destination. Une immense forteresse semblant surgie de nulle part leur barra un jour la route et Engaris poussa un soupir de soulagement.
— Ah, nous y sommes ! dit-il. J'ai hâte de me reposer devant une belle flambée. Pas toi gamine ?
— Vous croyez qu'on va nous laisser entrer comme ça ? Je n'ai pas l'impression que ce soit très accueillant...
— Fie-toi à moi ! J'ai mes entrées ici... répondit-il. Peut-être plus pour très longtemps, enfin... nous verrons bien !
Il alla le plus simplement du monde frapper à la porte. Un soldat se pencha depuis les remparts et des cris joyeux les accueillirent.
— Seigneur Engaris, c'est vous ? lui cria un homme qui devait être le capitaine. Nous ne vous attendions pas avant le printemps ! Notre seigneur va être heureux de vous revoir ! Il ne passe pas grand monde ces jours-ci.
La porte s'ouvrit lentement en grinçant. Pard suivit le vagabond qui avait posé une main protectrice sur sa tête.
— Ah, vous avez pris un chien ? s'écria le capitaine. Vous devriez nous le laisser pendant que vous irez saluer le seigneur Othrys...

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Pard
FantezieParce qu'elle est différente Pard doit partir sous peine d'être exécutée par les siens... En quête d'identité et d'une place en ce monde, elle se lance dans un voyage sans destination précise.