Chapitre 3

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     Partir à l'aventure, Pard en avait souvent rêvé... mais partir ainsi, de manière impromptue, sans autre possession que ce qu'elle portait sur le dos, c'était autre chose ! Le pire était de ne pas savoir où aller. Devait-elle chercher ce père qui ignorait son existence et dont pour sa part, elle ne connaissait même pas le nom ? Elle décida de laisser le hasard guider ses pas et quitta la forêt où elle avait vécu tant de choses. Il faisait encore nuit et seule la lune éclairait ses pas. Elle reprit naturellement sa forme de chat et y vit soudain plus clair. Une rivière scintillait doucement au nord. Pourquoi ne pas la rejoindre et suivre son cours au moins quelques temps ? Elle y trouverait sûrement de quoi manger, du poisson, des baies, toutes sortes de petites proies.

Quand la fatigue la cueillit, elle se mit en boule au pied d'un arbre et s'endormit. Son pouvoir, même s'il lui valait l'exil, avait bien des avantages. Elle aurait toujours de quoi manger, une fourrure pour affronter le froid, des écailles pour endurer la chaleur, des griffes et des crocs pour se défendre, des ailes pour fuir le danger. Elle n'avait besoin de personne, se suffisant à elle-même. Et pourtant, son cœur la faisait souffrir car la réciproque était vraie : personne n'avait besoin d'elle. Qu'elle vive ou qu'elle meure indifférait au monde entier. La vieille et ses caresses lui manquaient. Elle se rendait compte à présent que la malheureuse était la seule source de tendresse dans son existence. Ah comme elle regrettait de ne pas l'avoir mieux connue !

La journée du lendemain l'amena devant un vieux moulin où jouaient des enfants. Une fillette la vit et vint lui apporter un petit bol de lait bien frais que Pard ne refusa pas. Elle laissa même les petites mains crasseuses des gamins passer dans son pelage. Elle protesta un peu lorsque la petite fille la prit dans ses bras pour la serrer contre son cœur, mais elle se détendit en constatant que ce n'était pas si désagréable que ça. Elle se prêta à leurs jeux et à leurs marques d'affection, avant de faire la connaissance de leurs parents qui lui firent sans problème une place dans leur foyer. Un chat dans un moulin était toujours utile. La jeune fille mit un point d'honneur à tuer tous les rongeurs qu'elle croisait. Le meunier était ravi : jamais il n'avait eu de greffier plus efficace ! On ajouta à sa ration quotidienne une portion de viande.

Libre d'aller et venir, Pard explora les environs. Le moulin se trouvait à un bon kilomètre du village le plus proche. Cependant, dans les bois qui bordaient la route, elle eut la mauvaise surprise de découvrir une bande de brigands qui venaient de s'installer. Elle les espionna et comprit qu'ils préparaient un mauvais coup. Leur cible était le moulin où ils espéraient trouver or, femmes et nourriture. La situation isolée du bâtiment rendait l'opération aisée. Elle songea à la fillette, pas encore pubère, mais tout à fait susceptible d'attiser la convoitise d'un de ces porcs. Silencieuse, elle retourna auprès de sa famille d'adoption et commença à monter la garde. Elle avait établi ses quartiers dans le grenier d'où elle avait une vue imprenable sur la route et le bois.

Les brigands n'échappèrent pas à sa vigilance lorsqu'un soir, ils se coulèrent à pas de loup entre les arbres. Pard, devenue chouette voleta jusqu'à l'intrus le plus proche et enfonça ses serres dans la peau de sa nuque, lui arrachant un cri de douleur et de terreur qui eut tôt fait d'alerter le meunier et sa famille. Dès lors, la bande de mécréants cessa de se cacher et brandissant leurs armes disparates en braillant, les bandits se précipitèrent vers la porte pour la défoncer. De l'intérieur du moulin, parvinrent les cris d'angoisse des enfants. La colère de Pard ne connut alors plus de limites. Son corps s'enfla, grandit à la mesure de ses sentiments. Elle prit de la hauteur sans quitter des yeux les hommes qui à présent couinait comme des souris prises au piège.

Un dragon ! Elle pouvait devenir un dragon ! Elle inclina son long cou vers la misérable troupe et saisit un grand barbu armé d'une hache dans sa gueule. Elle le secoua en tous sens avant de le projeter contre un arbre, provoquant la panique parmi ses camarades qui ne savaient plus que faire ni où aller. Un brigand, plus téméraire que les autres, lui assena un coup de sabre sur le dos, mais la lame rebondit sur ses écailles sans provoquer en elle autre chose qu'une sensation de chatouillis. D'un coup négligeant de la queue, elle chassa l'importun, assommé sur le coup. Quelques coups de griffes, assortis de plusieurs claquements de mâchoire achevèrent d'éparpiller la troupe. Pard se redressa pour s'assurer qu'ils s'enfuyaient bien et que l'attaque étaient terminée. Elle reprit sans y penser sa forme humaine avant de réaliser que le meunier et sa famille la regardaient bouche bée.

PardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant