Disparition

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Je me suis assise.

Je ne sais pas combien de temps j'ai passé assise contre la roche froide de la falaise, les pieds posés dans l'herbe. Mon regard ne fixe rien de particulier, peut-être l'horizon, le sol autour de moi, le ciel qui passe au rouge ambré de temps à autre avant de redevenir bleu. Je ne pense à rien de particulier non plus.

J'ai simplement senti ce besoin de me poser après tout ce qu'il s'est passé.

Ce besoin de prendre un moment pour ne rien faire.

Je ne saurais dire ce que cela me fait d'être de nouveau seule puisque ce n'est pas vraiment le sentiment que j'ai. Je le suis physiquement, certes, mais je ressens sans cesse leur présence. C'est quelque chose d'inexplicable.

Ils sont là, c'est tout.

Un léger sourire flotte sur mes lèvres, le regard toujours perdu vers l'horizon.

Je l'ai regardée partir. J'ai voulu la retenir, l'empêcher d'aller seule dans un coin perdu au loin ne sachant pas sur quoi elle pourrait tomber. L'autre m'a retenu. Ce double, ce moi qui n'est pas moi. J'ai tenté de le repousser, à force égale, combat inutile. Elle s'est mise à courir.

Puis elle a disparue à l'horizon.

Je sais qu'elle devait y aller. Je sais qu'elle devait prendre ce chemin, cette direction, sans moi. Il y a quelque chose là-bas qui tombe pour elle. Je sais qu'elle n'a pas besoin de moi pour ce qui l'attend et je me sens impuissant.

Incapable de deviner ce qui l'attend.

Ce qui m'attend...

Je regarde l'autre moi avec agacement et le repousse plus vivement. Il se décale et croise les bras en fixant l'horizon où elle a disparue. Sa position, ses manies, sa voix...

Tout ce qui me ressemble m'énerve chez lui.

Il y a pourtant ce petit quelque chose en plus que je n'ai pas et sur lequel je ne parviens pas à mettre le doigt. Je l'ai remarqué tout de suite lorsque je l'ai vu arriver pendant le combat.

Ce moi là, il est plus âgé que moi...

J'ai tenté d'obtenir des informations de sa part sur ce qu'il savait pendant la descente de la falaise mais il ne m'a jamais répondu comme je l'espérais. Il me parlait comme je pouvais lui parler à elle au début, lorsque je savais qu'elle avait encore des choses à apprendre d'elle-même. Une fois passée la frustration, j'ai souris, acceptant ce mentor avec une certaine retenue quand même.

Et puis je pensais aussi à elle qui souffrait en silence derrière nous.

Il me laisse le temps de l'observer, de l'analyser et de me calmer dans mon coin. Je fais quelques pas dans un sens, puis dans l'autre.

L'attente est douloureuse.

Je ne sais pas si elle va revenir. Je ne sais pas quand elle le fera. Je ne sais pas dans quel état elle reviendra...

Je sais seulement qu'elle souffre.

Ce moment de repos et de silence me plonge dans une sorte de léthargie. La douleur cumulée des derniers jours, physique comme mentale, me couvre d'un long manteau douillet. Je la côtoie, l'apprivoise, la découvre et l'accepte au fil du temps. Peut-être qu'elle diminue, je ne saurais le dire vraiment. Elle est toujours là.

Calme.

Le vent ne souffle pas, les nuages vont et viennent loin au dessus de moi sans un bruit. Je n'ai pas vraiment peur, je me sens calme. Je ne lui en veux pas de ne pas m'avoir attendu. Quelque chose d'infiniment discret et de subtil s'impose lentement à moi au fil du temps.

Je sais dans quelle direction il est allé.

« Il est temps pour nous d'avancer. »

Je le regarde, intrigué, puis regarde dans la direction où elle est partie. Il secoue la tête et indique l'opposé, à travers la plaine. Je me sens désemparé.

Reprendre la route seul...

Parce que même si l'autre moi est là, cela reste une version de moi. Cela reste moi. Ce n'est pas elle. Ce n'est pas sa curiosité, sa naïveté, ses erreurs et ses maladresses... Toutes ces petites choses qui ont éclairés un peu plus ma route lorsque je l'ai partagée avec elle.

Je m'y suis habitué.

Je vais devoir m'en passer.

Je tente de marchander un peu, pour gagner du temps. Je sais pourtant qu'il n'a pas tord. Rester plus longtemps inactif est quelque chose que je n'aime pas. Il y a quelque chose dans cette direction pour nous. Il y a des réponses, des épreuves sûrement et des leçons...

Surtout des leçons.

L'autre moi sait des choses que je dois apprendre pour que je devienne lui. Ces choses, il n'y a que sur cette route que je peux les comprendre. Ce dont j'ai besoin se trouve là où elle ne peut venir pour l'instant. Je vais devoir avancer au devant et garder cet espoir que la route lui sera simple. Je pose ma main sur la roche de la falaise et soupire lentement en fermant les yeux quelques secondes.

Une prière secrète, un vœu.

Retrouve-moi.

Puis nous avons débuténotre nouveau voyage.

Il suffit d'un motOù les histoires vivent. Découvrez maintenant