Il suffit d'un mot

Intersection

Une puissante lumière baigne le contrebas. Les flammes diminuent, laissant apparaitre une forme repliée sur elle-même à une centaine de pas de l'autre. Il garde son épée baissée, quelques égratignures sont visibles sur lui. Il semble reprendre son souffle, le regard légèrement voilé par l'adrénaline du combat et la rage de vaincre.

Je cligne des yeux, mon souffle ralenti doucement. La forme sombre ne fait aucun mouvement vers nous. Elle ondule doucement sur elle-même comme une petite flaque.

Mes mains tremblent, un instant, j'hésite à l'achever. Mon cœur accélère dans ma poitrine.

Je lève lentement mon arc tout en préparant une flèche. Je croise alors le regard de l'autre. Il a relevé la pointe de son épée et me fait un signe négatif de la tête. Je fronce un sourcil.

La forme émet alors un son strident, comme un sifflement perçant qui fait vibrer la terre et la pierre sous nos pieds. Elle s'allonge d'un seul coup vers le ciel comme un fil énorme puis se détache du sol en laissant derrière une trainée de gouttes noires.

A peine ai-je cligné des yeux qu'elle retombe brusquement entre moi et l'autre.

Elle percute le sol à une vitesse si puissante qu'elle provoque une onde de choc et nous propulse très haut dans les airs. Ma flèche m'échappe des mains et je la vois percuter l'autre et le faire tourbillonner. Mon corps commence à retomber vers la falaise à toute vitesse. Son sifflement strident retentit à nouveau.

Il semble me déchirer en deux. Je me replie sur moi-même tout en priant pour que les ailes reviennent avant que je ne percute le sol comme une pierre.

Je ne sais pas où est l'autre. Je ne sais pas ce que la forme prépare. Je sais juste qu'à cet instant...

J'ai peur.

L'onde de choc revient de nouveau, plus puissante. Elle ne me propulse pas plus haut dans les airs que je ne le suis mais elle me traverse de part en part et me force à fermer les yeux. Elle me coupe le souffle. Je me sens tiraillée entre le sol qui m'attire et la puissance qui me souffle.

Silence.

Calme.

Vide.

J'ouvre les yeux pour me voir doucement tomber sur un sol de pierre dans un brouillard opaque et silencieux.

Encore...

J'avance, m'interrogeant sur ce qu'il se passe. Je prends le caillou posé sur le sol avant de butter dedans et le met dans ma poche. Je continue d'avancer en observant tout autour de moi.

Je suis seule.

Je m'arrête net devant le socle où l'arc est posé. La fleur est bien dessinée sur la poignée. Cependant, j'étais seule au départ de cette route. J'aurais dû voir l'autre avancer...

A moins qu'il ne soit sur ma route également...

Qu'est-ce que nous avons manqué ?

Je prends l'arc et me met à courir vers l'arbre où je suis censée me trouver... le trouver... ? Le retrouver... ? Le rencontrer... ? Je ne sais plus. Je secoue la tête. Peu importe. Il faut simplement que je le vois.

J'entends de plus en plus les chuchotements des animaux qui se cachent dans la brume tout autour de moi. Ma course ralentie. J'ai l'impression de comprendre certaines paroles. Je m'arrête un petit moment pour les écouter.

Je ne sais combien de temps je suis restée là. J'ai cru voir quelques ciels rouges passer. Mes jambes sont engourdies. Tout mon corps demande à se reposer. Je cligne des yeux, l'esprit remplis de paroles murmurées autour de moi et le cœur lourd.

Je fais quelques pas et me pose, assise, dos à un arbre sans faire très attention à l'endroit où je suis. Je regarde le vide en face de moi, les bras autour des genoux, l'arc posé à côté de moi.

Une silhouette s'avance vers moi lentement. L'autre s'arrête et m'observe, il tient l'épée dans sa main. J'ai de nouveau cette impression qu'il sait ce qu'il se passe et ce qu'il va se passer ensuite. Il n'a aucune blessure, c'est donc que lui aussi est revenu au départ d'une certaine façon.

Après un moment de silence, il s'avance vers moi et me tend la main.

« Viens, il est temps d'aller nous porter main forte.

Tu sais ce que tu dois faire maintenant. »