Une très vive lumière éclaire la plaine sur une très large zone. Cette lumière est suivie de près par une rafale puissante qui balaye le sol. Elle couche les brins d'herbes et les fleurs pendant de longues secondes. Les nuages se font littéralement soufflés, repoussés sur des kilomètres.
Au centre de cette explosion, des milliers de plumes brunes et de gouttes de sang rouge volent très lentement autour d'une étrange boule de lumière irisée de nervures noires. Elles volent si lentement qu'elles semblent calées sur un temps différent de tout ce qui les entoure.
Je me sens flotter lentement. Je suis repliée sur moi-même et mon corps tourne doucement. Je ne ressens rien pour le moment. Mon esprit est vide de toute pensée, de souvenirs ou d'envies. J'ouvre les yeux. Je vois mon corps briller légèrement, entouré d'une immensité sombre où il n'y a rien. Quelques mèches de mes cheveux passent devant mon visage. Ils brillent également, comme si toute cette lumière venait de moi.
Dans mes mains, une pierre simple brille de cette même lumière. Elle me semble chaude et vibrante. Elle pulse au rythme d'un cœur qui bat, je le sens à peine sous mes doigts. Je la tiens contre ma poitrine comme pour la protéger.
Je tourne sur moi-même de moins en moins vite avant de sentir que je me rapproche d'un sol. Je me redresse lentement et mes pieds se posent sur quelque chose que je ne vois pas. Je n'ose pas m'avancer ni reculer, de peur de chuter dans un trou béant. J'ai beau regarder autour de moi, il n'y a toujours rien.
Il n'y a que moi et ce qu'il reste de mon double lové dans cette pierre.
Je la passe d'une main à une autre, je la tourne entre mes doigts, pour essayer de déclencher quelque chose. Je l'approche de mon oreille pour tenter d'entendre une voix mais je ne perçois que sa pulsation. Je l'observe sous tous les angles mais rien ne me semble étrange. Je l'approche de mes lèvres pour souffler doucement dessus, cela ne provoque rien.
Je tiens une partie de moi mais je ne sais pas comment renouer avec elle.
Je tente de me souvenir pourquoi je suis ici. Je ferme les yeux, serrant entre mes mains la pierre, me concentrant pour réactiver ma mémoire.
Je suis dans un bouillard sans couleur, les pieds nus sur un sol de pierre.
Je cours, aussi vite que je peux.
Les couleurs viennent une à une, toutes accompagnant un objet ou un élément de décors. Toutes sont suivies de pensées et de souhaits.
Je cours toujours. Passant devant l'arbre et la rivière.
Je tombe de la falaise.
Je cours à nouveau dans ce brouillard. L'épée est dans ma main.
Je frappe puis je cours encore, l'arc dans ma main.
Je longe la rivière, toujours aussi vite. Mon esprit et mon cœur se chargent de plus en plus de souvenirs, de volonté, de sensations.
Je combats puis je tombe à nouveau.
Mon cœur se serre brusquement. La douleur s'insinue doucement dans tout mon corps. Mon souffle s'accélère. La pierre est de plus en plus froide dans mes mains. Je la rapproche de ma poitrine. Sa pulsation lente calme un peu le rythme effréné de mon cœur. Je referme les yeux à nouveau.
Je cours, tendue, inquiète.
Je ralentis ma course, tendant l'oreille. Ces murmures...
Ces murmures je les comprends.
Ils parlent de nous. Ils nous observent. Ils nous épient depuis le tout début. Ils espèrent que nos chemins vont être différents de ce qu'ils ont déjà vus. Ils nous guident à leur façon. Ils ne peuvent pas faire plus, ils n'en ont pas le droit. Alors ils murmurent. Ils ont envie qu'on les entende.
Ils parlent de séparation. Ils parlent de blessures. Ils parlent de douleur.
Ils parlent de la forme sombre qui se nourrit d'eux.
Ils parlent de ceux qui ont fini par ployer le genou et par se laisser abattre.
Ils parlent de cette chute que l'on doit vivre pour savoir se relever. Ils espèrent nous voir nous relever. Ils voudraient voir quelqu'un se relever.
Puis ils se taisent.
Je combats à nouveau, le cœur lourd. Je sais que ce sacrifice sera douloureux. J'espère simplement que je serais capable de supporter cette douleur.
Je combats encore puis je tombe du plus haut dans le ciel. Parce que j'y suis allé. J'ai pu monter tout là-haut. J'ai pu accomplir ma mission.
La douleur me déchire en deux. Je tombe à genoux, repliée sur moi-même. Je ressens tout ce qu'elle a pu ressentir. Dans mes mains, la pierre ne pulse plus. Sa lumière diminue totalement, comme si elle était happée par ma propre lumière.
Je suis incapable de bouger, incapable de crier.
N'ayant que du noir devant mes yeux, je ne peux fixer un point sur lequel me raccrocher. Je sens alors mes ailes se détruire petit à petit. Leurs plumes se détachent et s'envolent dans une explosion tout autour de moi. Je pose une main au sol, le souffle coupé, les yeux clos.
Dans mon esprit, il n'y a que la douleur. Cette douleur semble ouvrir un espace encore plus sombre tout autour de moi. Je sens l'air extrêmement froid qui s'immisce et m'entoure. Je ressens cette promesse de paix murmurée, à condition que je ne combatte plus. Je perçois comme un élan de colère envers cette promesse illusoire.
Je me force à rouvrir les yeux pour essayer de garder le contrôle et ne pas me laisser sombrer. C'est alors que je remarque sous mes doigts de la couleur. Comme si le contact de la lumière autour de ma peau sur le sol sombre lui avait rendu sa couleur. Tentant de ne pas céder à la panique sous cette douleur qui me tiraille de part en part, je frotte énergiquement ma main sur le sol.
Le monde réapparait.
Le sol se fissure sous mes gestes répétés et tout à coup je me sens aspirée vers le bas.
Je tombe brutalement au sol dans l'immense prairie. Clignant des yeux sous le retour brutal de la lumière, je regarde autour de moi. Il n'y a que de l'herbe et des fleurs de toutes les couleurs...
Et des plumes brunes...
Tout autour de moi, le sol est jonché de plumes. Vestige de mes ailes.
Je me relève lentement, le corps endoloris. Je n'ai pas la pierre dans ma main et je ne la trouve nulle part autour de moi. Je me sens tout à coup très seule. Je ne comprends pas encore totalement ce qu'il vient de se passer.
Concentrée sur ce phénomène étrange, je prends le chemin du retour pour retrouver l'autre et lui raconter. Peut-être aura-t-il les réponses à mes interrogations. Peut-être qu'il pourra m'éclairer...
Je marche longtemps, incapable de courir. La douleur ou son souvenir me paralysent presque les muscles. Je fais d'énormes efforts pour parcourir la route que j'ai mis si peu de temps à faire en sens inverse.
Plus j'avance, pourtant, et plus mon pas est rapide. J'ai hâte de reprendre le reste du voyage en compagnie de l'autre. Je sais qu'il a ce regard différent sur les évènements et qu'il me permettra de tout comprendre.
Lorsque j'arrive enfin au pied de la falaise, il n'y a plus personne.
L'autre et son double sont partis.
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Il suffit d'un mot
FantasyPanne d'inspiration mais envie d'écrire. J'ai demandé à mon ami de me donner un mot, pour voir si je pouvais en faire quelque chose... De fil en aiguille, de mot en mot, l'histoire s'est créée et se créera encore. J'ai souhaité vous la partager pou...