Je ne connais pas cette dame. Je me retourne, je la regarde puis je vois dans son regard de la peine et de la tristesse. Ma curiosité me pousse à savoir qui elle est mais au moment où je l'allais poser la question sur son identité. Un monsieur de la sécurité lui demande de partir.
Selon lui, elle n'a pas été conviée à cette cérémonie. Un autre garde la pousse violemment.
« LÂCHEZ-MOI ! J'AI LE DROIT D'ASSISTER À CETTE CÉRÉMONIE, JE CONNAIS SON PÈRE QUAND MÊME ! »
« ALLEZ VERS LA SORTIE, S'IL VOUS PLAÎT ! »
« Ne la calcule pas ! Elle veut juste faire son intéressante. »
Le fait qu'elle parle de mon père en disant qu'elle le connaissait m'a vraiment étonnée. Il m'a fallu quelques secondes pour comprendre que c'était une sans-abri qui rôdait dans les rues. Cette dame semble assez perdue, elle manque d'attention. Elle n'est pas dans son état normal.
Des personnes présentes à cette cérémonie chuchotent en jugeant cette dame. Je ne pense que ça soit le moment de juger qui que ce soit, on est censée être compréhensifs. On ne sait pas pourquoi cette dame est dans cet état-là.
Mon père s'est donné la mort parce qu'il ne se sentait pas compris, il se sentait seul. Cette dame doit être aidée et soutenue. Énormément de personne sombre dans la dépression et on ne se met pas assez à leurs places, c'est tellement décourageant.
« Tu penses à quoi ? Je te vois regarder dans le vide. Courage, ça va aller. »
Isaac arrive tellement à comprendre quand je suis pensive. Pour le moment, je suis là, assise avec mon haut et mon bas noir. La tête qui tourne, comme du mal à réaliser. On attend toutes les personnes retardataires qui s'installent. Les proches de mon père ont aussi du mal à réaliser. Certains pleurent, certains regrettent de ne pas avoir été présents quand il allait mal. Je n'aurais jamais pu imaginer qu'ils y auraient autant de personnes à l'enterrement de mon père, il était aimé. J'espère qu'il le voit de là-haut.
Assez étonnement, je ne me sens pas triste pour le moment. Je tiens le coup, comme si pour moi, tout ceci était éphémère et qu'il va revenir. Quand j'ai appris sa disparition, j'ai tellement pleuré, je voulais même en finir. Il m'arrive parfois de me sentir mal mais mon corps n'a plus de larmes. Je suis comme vidée.
« Ça va Zyneb ? Ça va bientôt commencer. »
Tout le monde semble enfin arriver. Je vois d'ailleurs au fond mon professeur d'anglais, mouchoir à la main. Tout devant, proche du microphone, je vois une connaissance. Cette personne qui s'apprête à parler est tout simplement mon oncle. Je me souviens de lui, il venait souvent à la maison avant qu'on déménage. On ne s'est jamais vraiment revus depuis, je n'ai jamais compris pourquoi. Il n'a pas tellement changé en huit ans.
D'ailleurs, il essaye de parler, ça ne fonctionne pas. Il tapote avec sa main pour vérifier si le micro fonctionne. Il regarde la foule, pendant dix secondes, puis tombe sur mon regard. Son visage change complètement, il s'approche vers moi.
« Zyneb, comment tu vas ? Je suis désolé de ne pas avoir été là depuis tout ce temps. On se retrouve pendant ce triste moment. Tu viens avec moi ? »
Il veut que je le suive pour parler de mon père mais je n'ai rien préparé. Et puis de même, je ne suis pas vraiment à l'aise pour parler devant tout le monde.
« Allez vas-y, Zyneb. »
Je me lève un peu sous la contrainte, je le suis. On est là, tous les deux, devant une tonne de monde. Tous semblent attendre un discours.
« Ok. Ok. Ça a l'air de fonctionner. »
Le stress me monte. J'ai l'impression que je vais passer mon baccalauréat avant l'heure. Mon oncle me serre dans mes bras puis me chuchote à mon oreille que je ne suis pas obligée de parler si je ne le sens pas.
« Nous sommes ici pour célébrer la vie de mon frère, Jean Andrieu qui nous a quittés assez récemment. Je suis tellement heureux que vous soyez aussi nombreux à être venus. Je vous remercie. »
Tout le monde se met alors à applaudir. Mon oncle s'étend alors sur un discours concernant mon père pendant une dizaine de minutes. Moi évidemment, je reste muette. Je suis à côté de lui comme acte de présence.
« À côté de moi, c'est sa fille qui est évidemment bouleversée par le départ de son père. »
Tout le monde commence à comprendre qui je suis.
Après son discours émouvant, on se rapproche du moment où on doit mettre le cercueil sous terre. À ce moment, je ne me suis jamais sentie aussi mal. Je souffle, mon cœur commence à battre et là, je craque. Je commence à comprendre que c'est la fin. Je ne le reverrai plus jamais. Isaac me prend dans les bras, son père aussi.
« Que c'est dur. Je suis tellement désolée que tu es à vivre ça. »
Je pensais que j'allais tenir comme dit avant, mais non, je suis toujours aussi affectée.
« C'est normal de craquer. »
Une personne me tend un mouchoir, puis je décide de ne pas continuer à regarder la mise en terre de mon père. Trop dur pour moi. Je décide de me rasseoir à ma place, je ne veux pas voir plus.
« Tu veux que je m'assoie à côté de toi ? Ne t'inquiète pas, on ne va pas tarder à partir. »
Mon oncle et le père d'Isaac finissent par me rejoindre, la cérémonie est sur le point de se terminer.
« Tiens, tu as un téléphone à la maison ? Je te passe mon numéro, si tu as besoin de moi, je suis là. »
« Il n'y a pas de soucis. »
« Bon courage ma belle. Encore désolé de ne pas être là avant, ton père était un homme avec des goûts assez étranges mais il a changé car il t'a eu par la suite. »
Isaac et moi on se regarde d'un air étonné. Il me lance ça sans explication. Il retourne à ses occupations, je n'ai pas vraiment eu le courage de chercher à comprendre. On se dirige vers la maison après cette après-midi chargée en émotion. On marche en direction de la voiture quand on croise la même dame de tout à l'heure, qui m'a l'air d'attendre depuis un moment. Elle me regarde de haut en bas.
« Aminata, je suis ta mère. »
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Sombres Affaires
Misterio / SuspensoOctobre 1974. Dans 3 mois, la nouvelle année et le temps des nouvelles résolutions... Peut-être qu'avec elles, mon père finira par changer, par redevenir lui-même ? D'étranges disparitions frappent la paisible ville de Rouen et tourmentent mon père...