Chapitre 5

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Avril 2021

Autant dire que la vie a repris son cours dès le lendemain de la soirée. En apparence seulement. Si tout le monde continue de voir ma meilleure amie sous son plus beau jour, de la façon dont elle se montre dès qu'elle pose un pied dehors, certains préfèrent évidemment se contenter de cette facilité qu'on peut avoir à croire en ce masque affiché si simplement en public, alors que certains, par respect n'aborderont pas le sujet tant que Lauria ne souhaitera pas le faire, et autant dire que si Harry ne m'avait pas expliqué ce qu'il s'était passé le soir-même, je ne l'aurais sûrement jamais su. Ou du moins pas avant longtemps. J'ai bien essayé d'en parler avec la principale concernée, mais elle a détourné le sujet immédiatement. Je sais que ce n'est pas simple, mais je ne la forcerai pas à m'en parler. Je me contente de garder un œil sur elle.

Pourtant, j'ai toujours cette peur de rater quelque chose. Dans les livres, on voit toujours des personnages qui savent voir au delà des masques, qui voient au travers, qui lisent les émotions des gens dans leurs yeux, pourtant, parfois, j'ai peur d'être le seul à me faire avoir, d'être le seul à vouloir comprendre les autres, à savoir lire dans leurs yeux, puisque les yeux sont le reflet de l'âme, mais sans y parvenir. Parce que la seule chose que j'ai l'impression de lire en me plongeant dans les yeux de quelqu'un, c'est le vide. Et je refuse de croire qu'autant de gens ont perdu la lueur d'espoir qui devrait illuminer leur regard.

Je sais d'où vient cette peur. Du départ de Harry. De la rancœur de ma mère. La détresse de Gemma, Anne et Robin qui, je sais, est présente, mais que je suis incapable de déceler.

Alors j'ai l'impression d'être et surtout de faire comme les autres : croire à leur « je vais bien » tout en sachant que ce n'est pas le cas, mais ne rien faire d'autre que semblant. C'est tellement dur d'avoir connaissance de la douleur d'un proche, mais de se sentir impuissant.

Depuis ce jour, je n'ai pas eu de nouvelles de Harry. Je ne sais pas si j'espérais en avoir, ou si je me doutais que je n'en aurais pas, mais les faits sont là : si j'en attendais, je pouvais le faire encore longtemps puisque je sais que je n'en aurais pas.

Je n'ai pas le temps de réfléchir plus longtemps que ma porte s'ouvre dans un fracas, s'écrasant presque contre le mur, alors que Lauria apparaît, un large sourire sur les lèvres.

« Demain, on va à Châtelet ! » S'exclame-t-elle, sous mon regard ahuri. Je savais déjà que ce genre d'idées la prenaient comme ça, mais là, surtout qu'on a cours, demain, accessoirement... Enfin, je dis ça, mais je ne sais même pas pourquoi ça m'étonne.
« Lau, on a cours demain.
- Tu sais qu'en trente minutes à pieds on y est ? » me dit-elle, sans perdre son sourire. « On pourrait y être en dix minutes en vélo, mais ça veut dire emmener nos vélos pour aller en cours. On a trois heures de trou entre midi et quinze heures, on a largement le temps d'y aller. Allez, s'te plaît, s'te plaît, s'te plaît ! » me dit-elle en me lançant un regard suppliant. Je ne sais même pas pourquoi je m'entête à chercher des excuses, je sais très bien qu'on ira dans tous les cas.
- Ok... Mais pourquoi tu veux absolument aller aux Halles et demain ? Regarde : samedi, on n'a pas cours. On peut bien attendre samedi. » je l'interroge en cherchant la logique à y aller demain, soit vendredi alors qu'on peut attendre une journée.
« Louuuuuu. » Elle maintient sa moue mais je continue de l'interroger du regard. Finalement, elle soupire avant d'accepter. « Je peux proposer à Andréa de venir avec nous, non ? Je pense que ça pourrait être sympa. J'aurais bien invité d'autres gens, mais j'ai pas envie de voir trop de monde, en petit comité, c'est pas mal. » me dit-elle en sortant son portable.
« Comme tu veux, mais on peut tout aussi bien y aller tous les deux si tu préfères. » je lui propose, n'ayant moi-même pas forcément envie de voir du monde.
« Ok, on y va à deux. » je l'entends dire alors que je sens mon lit s'affaisser derrière moi. Je me tourne et Lauria vient poser sa tête sur mon épaule. « Tu crois qu'un jour on pourra être vraiment heureux ? » me questionne-t-elle en observant la nuit qui commence à tomber plus tardivement.
« Tout dépend de ce que t'entends par là. Je pense qu'on a tous été heureux à un moment de notre vie, mais qu'on se rend compte qu'on l'a été quand on tout s'écroule autour de nous. Un jour on le sera sûrement. Je ne saurai pas te dire quand, mais je te promets qu'on le sera. Pas de la même façon parce que ton bonheur est différent du mien, on n'attend pas la même chose de lui. Ce qui te rendra heureuse ne sera pas forcément la même chose que pour moi, mais on le sera.
- Qu'est-ce qui te rendrait heureux, toi ?
- Tu veux dire, l'idée que j'ai du bonheur, de mon bonheur ? » elle hoche la tête contre mon épaule alors que je caresse tendrement ses cheveux en observant mon plafond.
« Aujourd'hui, ce que je vois en regardant un futur où je serais heureux, je serais avec Harry, je ferais un métier qui me plaît, même si aujourd'hui je ne sais toujours pas ce que j'aimerais faire, tu n'habiterais pas loin de chez moi, j'aurais un chien et je pourrais faire de longues balades avec dans les champs, ou peut-être sur la plage hors-saison, si j'ai l'occasion d'y aller en vacances hors-saison, je pourrais faire de la photo quand m'en viendrais l'envie... » je continue de chercher des idées, mais je dois me rendre à l'évidence : « En fait, je dois t'avouer que plus j'y pense, plus je me perds, et moins je sais ce qui me rendrait heureux. Parce que je ne sais pas m'inventer un idéal que je sais que je ne saurai pas atteindre. Parce que j'ai toujours peur d'être déçu donc j'évite de viser trop haut, de peur que la chute ne soit encore plus douloureuse. » je termine, alors que je me rends bien compte que j'ai sûrement parlé bien trop vite et honnêtement au début.
« Tu choisis la sécurité plutôt que la vie, non ? » se tourne-t-elle vers moi.
« Comment ça ?
- Tu as peur de la fin donc tu préfères rester sur tes acquis et ne pas chercher plus loin, mais la vie, ce n'est pas justement prendre des risques ? Prendre le risque de viser plus haut pour atteindre un but que tu recherches vraiment ? Arrête-moi si je me trompe, mais deux choses qui t'attirent sans que tu ne saches pourquoi, ce sont l'univers et l'eau ? » n'obtenant pas de réponse, elle poursuit. « Alors pourquoi te priver de viser les étoiles, les astres tout simplement, en sachant que dans le pire des cas, tu atterrirais dans l'océan ?
- Oui, mais si j'atterrissais sur la terre ?
- Tu ne le sauras pas avant d'avoir essayé. Et puis même si atterrissais sur la terre, rien ne t'empêcherait de rejoindre la mer.
- Et toi ? » je l'interroge, curieux.
« Hm... Sûrement trouver l'amour, avoir mes amis et ma famille, qu'ils soient tous heureux, et je crois que j'aurais besoin qu'ils soient heureux. Je veux dire, tant que je ne serai pas certaine qu'ils connaissent le bonheur, je ne pourrai jamais l'être complètement.
- Tu es consciente que les autres ne dépendent pas de toi ? Je veux dire, bien sûr que tu peux vouloir leur bonheur et c'est honorable... Mais si l'un d'eux par exemple, ne va pas bien et ne souhaite pas aller mieux, tu ne pourras rien faire pour lui. Alors tu ne seras pas heureuse ?
- Pas complètement, non. »

Le temps d'avancer [L.S]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant