Le clan des disparus

25 - Miya

Il faisait face au petit paquet et à son amie. Elle aussi regardait le paquet. Depuis six jours, elle n'osait pas l'ouvrir, car il représentait les derniers mots écrits de son père. À la place, elle avait lu sans relâche les contes qu'il avait laissés.

Miya ne l'avait jamais autant vu lire, elle en avait perdu la notion du temps. Il fut de plus en plus soulagé en voyant le nombre de pages se réduire d'heure en heure.

Il s'était absenté une bonne demi-heure pour récupérer leurs repas. À son retour, Réshulina avait enfin posé le livre de son père, et elle semblait l'attendre de pieds fermes.

– Alors ?

Elle leva ses yeux verrons.

– Te souviens-tu de la première fois où tu as vu mon père ?

Il déposa le plateau rempli de nourritures et regarda la princesse.

– J'ai de vagues souvenir, ou du moins ce qu'on m'a raconté, j'avais à peine deux ans à l'époque.

– Tu pourrais me raconter ? Je dois vérifier quelques choses.

Il soupira et se mit à préparer la table.

– Je me rappelle surtout l'impression qu'il m'a laissé. J'étais terrifié, je crois entre autres parce que ma mère n'était pas là. Je pleurais et il me regardait comme si je ne devrais pas exister. Je n'ai jamais compris ce qu'il voulait de moi, puis il m'a montré un joli bébé et je ne t'ai presque jamais quitté depuis.

Elle était venue s'asseoir à ses côtés.

– Ça concorde...

– Qu'est-ce qui concorde ?

Elle commença à manger.

– Les contes ne sont pas que des contes, ce sont ses mémoires. Papa y raconte ses souvenirs. Il a raconté plusieurs de nos excursions et aussi ta rencontre avec lui.

Il s'assit à son tour.

– Il les camoufle en racontant une histoire avec des animaux. Il est la licorne, je suis le paon, Tey'ro est l'écureuil et j'ai seulement des théories pour d'autres.

– Et ?

– Toi, il t'appelle le métamorphe.

Il faillit s'étouffer.

– Enfin, ça reste ma supposition, mais il raconte sa rencontre avec un enfant métamorphe. Il dit qu'il se méfiait de lui, son odeur était à la fois connue et inconnue.

– Mon odeur ? Qu'est-ce que mon odeur à voir avec ça ?

– Je ne sais pas... Mais Papa est clairement indécis quant à ce que tu es.

C'était vrai, même lui ne savait pas exactement ce qu'il était. Il avait toujours pensé qu'il était un thérianthrope mal formé, ce qui aurait expliqué son abandon. Puis, la reine lui avait dit qu'il était un alcano ou quelques choses comme ça. Et maintenant un métamorphe.

Il se prit la tête entre les deux mains, complètement désespéré.

– Mais je suis quoi à la fin...

– Tout ce que l'on peut affirmer, c'est que tu es Miya, le mystérieux petit enfant retrouvé dans la salle du trône complétement perdu. Mais le plus important, ce n'est pas ce que tu étais, mais ce que tu seras.

Il la regarda et ils explosèrent de rire. La princesse avait raison. Ils continuèrent leurs repas sans un mot. Il finit par briser le silence.

– Tu ouvres le paquet ?

– J'hésite. Mais il se peut qu'on possède enfin les réponses à de vieilles questions en brisant le sceau.

Elle se leva et alla chercher son ouvre-lettre. Miya vint s'installer à ses côtés. Elle glissa la lame sous le cachet de cire puis le fit céder d'un coup sec. Elle déplia le papier vieux d'une bonne année et libéra plusieurs lettres elles aussi cachetées. Il les prit tandis que Réshulina lisait la note sur le papier du paquet.

Elles étaient toutes adressées à diverses personnes, l'une à Réshulina, l'une à Fanrei, une autre à une certaine chouette à couronne, l'une au Général des armées, une pour l'ancienne reine Yarra et une dernière adressée à la fratrie de la déité.

La lettre adressée à la chouette était particulière, elle était épaisse, comme si elle contenait quelques choses.

– Une de ces lettres m'est-elle destinée ?

Il lui tendit la fameuse lettre et récupéra la note.

Pour quiconque lira ses mots,

Si ces notes sont lues un jour, cela veut dire que Genaye a pris le contrôle et qu'il est fort probable que je me suis fait terrasser.

Je vous prie, à vous, lecteur de mes mots, de bien vouloir remettre ses lettres cachetées à leurs destinataires.

Samaykeeret

Il retourna le papier, relu encore une fois ces mots écrit à l'encre noire.

– Samaykeeret...

C'était sans doute le nom complet de Samay. Il vit la princesse déposer sa lettre. Elle avait les larmes aux yeux.

– Tout va bien ?

Elle tourna la tête.

– Papa avait fait un marché avec le chef du clan des Ashashin. Il acceptait de laisser ma mère partir à condition que l'un de ses enfants revienne au clan. Mais papa n'avait pas l'intention de laisser quiconque à ce clan.

Il le regarda.

– Si j'ai bien compris, je suis une croisée très puissante à cause de mes origines.

– Tu es une demi-déesse, je trouve ça normal.

– Non, papa n'est pas un dieu, c'est un titre qu'il lui a été donné. Il était comme n'importe qui.

– Je ne comprends pas...

– Les huit dieux d'Ikade sont les descendants directs d'une des personnes les plus puissantes qu'est connu ce monde, celle contre qui ils ont combattu lors de la Révolte. Mais leurs mères étaient toutes des mortelles, comme n'importe quelles femmes d'Ikade.

Elle reprit sa respiration.

– Et je possède son sang. Je suis unique pour ça. Et Papa craint que les Ashashin ne se livrent à des expériences sur mon sang pour devenir aussi puissant que notre ancêtre.

Elle marqua une pause.

– Et il y a quelqu'un d'autre qui faut mettre en garde de ses origines...

Il la regarda.

– J'ai un grand frère...

Il déglutit. Le dieu avait eu un bâtard, et il était vivant à en croire Réshulina.

– Tu vas le retrouver ?

– Oui. Il pourrait m'aider à récupérer Kasharhar. C'est un homme plus âgé que moi, il sera plus soutenu par les nobles et le peuple qu'une jeune ingénue comme moi.

Il fut surpris.

– Tu vas le légitimer ?

– Je pense que le faire prince héritier à ma place est une solution. Comme ça, je pourrais aller chercher mes réponses auprès de ma tante à Tsu Bun.

Il redressa vivement la tête, il mit plusieurs secondes à comprendre qu'elle parlait de Kuki Teasan d'Ikade, la déesse des vents et reine de Teasan.