Xélion venait de lui remettre la clef de sa chambre. C'était modeste, il y avait un lit sans matelas, c'étaient simplement des lanières de cuir tendu, mais ça n'en restait pas moins agréable. Il y avait aussi une table et un tabouret dans un coin et une fenêtre munie d'une planche en bois pour volet.
Elle prit grand soin à déposer son sac sur la table de bois, puis elle sortit certaines de ses affaires. Elle organisa ses quelques vêtements en piles bien organisées, puis fit un tas avec ses habits sales, elle devrait s'arranger pour faire sa lessive. Elle sortit également une couverture douillette qu'elle lança sur le lit.
Elle s'avachit ensuite sur sa couche puis se concentra. Elle préférait faire le vide dans sa tête pour transmettre un message par leurs liens. Certes, ils n'arrivaient pas à avoir de discussion aussi fluide que s'ils se trouvaient ensemble, mais ils arrivaient à communiquer sur l'avancée de leur plan.
Elle rouvrit les yeux, la faim lui tiraillant le ventre. Elle n'excellait vraiment pas dans les messages et elle avait très rapidement envie de sucre. Elle se leva et sortit de son sac du chocolat qu'elle engloutit une fois dans son lit. Elle resta pendant plusieurs minutes à contempler le plafond, sa timidité l'empêchant de sortir et aller à la rencontre des samudri.
Et si elle croisait quelqu'un ?
Et si on la prenait pour une prostituée ?
Mais quelle idée de vivre dans un bordel aussi...
Et pourquoi jouer leurs avenirs au chi fu mi...
Elle regarda plusieurs fois dans le couloir, prête à sortir rencontrer ce monde inconnu, puis elle se ravisa. La quatrième fois, elle ouvrit sa porte et tomba nez à nez avec un homme elfe. Ce dernier la regarda, il parut surpris, comme tous les ikadi qu'elle avait rencontré jusqu'à aujourd'hui. Il déclara en bégayant :
– Je... Euh... Le repas est prêt... On t'att... On vous attend...
Astrauliope lui fit son plus beau sourire, dévoilant ses dents droites et blanches. Elle rit nerveusement et lui claqua la porte au nez. Elle respira rapidement, honteuse d'avoir été surprise. Elle prit promptement un élastique et regroupa ses cheveux teints en un chignon particulièrement mal fait. Elle expira tout l'air de ses poumons puis sortit et fit face à l'homme.
– On va manger ?
Elle le regarda. L'elfe cornu sourit et se mit en marche, se dirigeant sûrement vers la cuisine.
– Comment tu t'appelles ? demanda la jeune femme.
– Ranjit.
Ils débouchèrent dans la cour du bordel où s'était réuni une bonne partie des occupants de la maison de passe, des femmes faisaient le repas du soir, les enfants des prostituées jouaient non loin de là en riant et courant dans le sable chaud.
La cour était petite, mais assez grande pour contenir tout ce monde. Elle était entourée de quatre murs un peu délabrés, avec un accès à la rue pour l'un deux. La bâtisse était composée de deux étages, et ce qui semblait être une écurie pas loin de l'accès. Le dernier étage était entièrement ouvert sur la cour, on pouvait donc observer les portes des chambres des occupants.
Une des femmes tendit à Astrauliope une modeste assiette avec une portion de riz et du poisson grillé. Elle ne comprit absolument aucun des mots prononcés par la cuisinière, mais elle la remercia. Elle essaya de suivre les diverses conversations, mais ses compétences linguistiques et l'accent populaire des samudri lui firent jeter l'éponge. Elle s'éloigna d'eux pour manger un peu plus au calme et se refermer sur elle–même.
– Tu n'aimes pas la compagnie ?
Elle reconnut la voix immédiatement.
– J'apprécie la compagnie, c'est difficile pour moi d'aller vers elle.
Xélion s'assit à ses côtés, une bouteille d'alcool en main. Il la lui proposa.
– Merci.
Elle fit tourner un peu l'alcool dans la bouteille, puis en prit une gorgée. Le liquide lui brûla l'œsophage, mais elle apprécia le goût fruité.
– Pourquoi te montres-tu au grand jour ? Un assassin avec une prime sur sa tête devrait se montrer discret.
– C'est une prime sur mon nom, pas ma tête.
Elle reprit une gorgée et rendit la bouteille au proxénète.
– Alors qu'est-ce qui me dit qu'il s'agit bien de la tête du Sanglant que j'ai en face de moi ?
Elle le regarda droit dans les yeux.
– Si tu le souhaites, je peux refaire toute la déco avec tes entrailles connard.
Elle sourit, un rictus ironique et cruel. Le proxénète eut un sourire dubitatif assez comique.
– J'ai rien compris, fini-t-il par dire.
Il porta la bouteille à ses lèvres, se leva et demanda.
– Tu te plais ici ?
– On en reparle dans deux semaines. Quand je serais devenu un pâté ambulant parce que tu m'auras engraissée.
– Tu parles assez bien le hari pour une étrangère.
– J'ai eu un bon précepteur.
Il était sur le point de partir quand il demanda.
– D'où viens–tu ?
Il commença à l'énervé profondement avec ces questions. Elle réfléchit, il fallait peser ses mots, Xélion était une personne perspicace si sa source était fiable.
– Verkrich, près de la frontière de Hringsstaoir. Ou l'inverse. Je suis nulle en géographie.
Elle marqua une pause.
– Et toi. Tu as toujours vécu ici.
– Oui et non. De ce que je sais, mes grands-parents et ma mère sont allés s'installer à la campagne pour la grossesse. Puis ils sont revenus, faisant croire que j'étais le bâtard d'une servante.
Elle l'observa, jusque-là, ça collait avec ses connaissances.
– Et ton père.
– Sujet tabou. Je ne sais pas qui il est, s'il sait que j'existe. Mais maintenant, je m'en fous, j'ai la trentaine, de l'argent, et j'ai des femmes pour réchauffer mes draps.
Astrauliope pouffa, ce qui lui attira le regard du proxénète.
– Pourquoi tu ris ?
– Si tu es un bâtard, c'est que ton père aussi aimait bien avoir quelqu'un dans ses draps. Tu lui ressembles sans le vouloir.
Et il lui ressemblait beaucoup, mais ça ne fit pas rire Xélion. Elle prit note de ne plus parler de ses parents. Il se leva, plus refermé sur lui que jamais. Elle l'avait énervé. Ce n'était pas bon pour le futur ça. Il fallait qu'elle arrange le coup.
Une vision absurde s'imposa en elle, où elle se voyait en la compagnie du rouquin, dans son lit. Elle chassa de la main cette idée abominable et deux rires distincts résonnèrent en elle.
Elle finit son assiette et soupira. Elle prit dans ses mains le pendentif qu'elle dissimulait sous son vêtement. C'était une petite pierre lisse et ronde, une émeraude avec une boucle en argent. Elle se mit à briller.
Deux ans qu'elle était ici. Deux ans qu'elle était loin de sa famille. Deux ans qu'elle n'était plus totalement humaine.

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Le clan des disparus
FantasíaLes dieux règnent depuis plus d'un millénaire sur le continent d'Ikade. Tey'ro Prihya, le bras droit de l'un d'eux, rêve depuis toujours d'un monde où ces huit tyrans ne seront plus qu'un mauvais souvenir. L'occasion se présente un soir, où il neut...