CHAPITRE QUATRE-VINGT-SEPT

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 Pour éviter d'avoir à affronter Cameron, j'ai recommencé à passer mon temps libre au studio. Que les garçons soient là ou non, je m'y réfugie en espérant que le piano soit assez prenant pour m'empêcher de penser à quoi que ce soit d'autre. Je sais que la conversation fatidique que je dois avoir avec Cameron approche à grand pas. Dans deux jours, nous irons au restaurant et je jouerai cartes sur table. Je tiens le coup mais c'est de plus en plus dur de faire bonne figure alors je l'évite au maximum en passant mes fins de journée au studio.

Aujourd'hui, je suis arrivée tôt après mon dernier cours de la journée. Les Black Slayers ne sont pas là mais je ne m'en formalise pas. Ça ne me dérange pas d'être ici toute seule. En fait, ça me fait du bien d'avoir le studio pour moi. Je peux me ressourcer et travailler mes propres compositions sans être interrompu. Ce moment est pour moi, seulement moi. J'adore composer avec les garçons et travailler pour eux mais j'ai parfois besoin de le faire pour moi. Comme aujourd'hui, par exemple.

Être ici en solitaire me fait un bien fou. J'ai l'impression de me retrouver enfin, de parvenir à apaiser mes doutes. Je n'ai pas besoin de faire face à mes angoisses. Il n'y a que ma musique et moi. Personne n'est là pour me rappeler ce qui m'attend. Je peux mettre mon cerveau sur pause et faire le point sur moi-même. Tout semble disparaître autour de moi quand je suis ici assise devant le piano. Je ne me concentre que sur mes doigts pianotant sur les touches noires et blanches. J'écoute la musique, je me laisse transporter et j'oublie tout le reste.

Quand je pense à Cameron et à ce que je dois aborder avec lui, j'ai envie de m'effondrer. Je voudrais me rouler en boule et pleurer sur ce que je vais peut-être nous faire subir. Tout allait si bien entre nous. J'ai dû mal à croire que nous devions en passer par là. J'aurai voulu que les choses soient différentes, que certains questions n'aient pas besoin d'être posées.

Malheureusement, je n'ai pas le choix. Je ne veux pas vivre dans le doute et l'incertitude. Il faut que je sache si nous avons un avenir ensemble. Je ne pourrais pas m'impliquer dans notre relation si je réalise que nous ne voulons pas les mêmes choses. Nous sommes censés avoir un avenir en commun. Je n'ai jamais imaginer le contraire. Je croyais que nous étions sur la même longueur d'onde mais à présent, je crains de m'être trompée. Nous sommes peut-être dans une impasse et j'ignore si nous pourrons en sortir. J'aimerai avoir une solution déjà toute prête en cas d'urgence mais je n'en ai aucune. Je ne sais pas où nous allons ensemble mais il est possible que nous foncions tout droit dans un mur.

Pour faire taire mes propres pensées, je m'acharne sur le clavier du piano. Je fais taire tous les bruits qui pourraient parasiter ma musique. Je m'enferme dans une bulle où je suis seule. Cette solitude me rassure et me réconforte. Je n'ai plus peur dès que je commence à jouer plus fort. J'ai la sensation d'être en sécurité car personne ne peut me faire du mal ici. Cet instant est comme hors du temps. Je peux enfin respirer loin de tous les tracas de ma vie personnelle.

Durant près d'une heure, j'exorcise tout mon mal au travers du piano. Je malmène les touches en me servant d'elle pour extérioriser toute la frustration qui s'accumule en moi depuis plusieurs jours. Je me libère de toutes les ondes négatives que j'ai gardé en moi. Je regarde même pas l'heure et continue à jouer sans presque jamais m'arrêter. J'enchaîne les morceaux, je pianote furieusement en chantant parfois. Je ne me focalise que sur l'instant présent.

Quand je lâche enfin le clavier, mes doigts me font presque mal. Ils sont tout engourdis et crispés. Je suis obligée de faire craquer mes phalanges pour retrouver un semblant de dextérité. Ma manœuvre me soulage temporairement mais l'effort m'a irrémédiablement fatigué. Je suis épuisée après tant d'acharnement.

Derrière moi, quelqu'un se racle la gorge.

Je me tourne brusquement et découvre Thomas Larson, le sosie presque parfaite d'Andrew Garfield, sur le pas de la porte. Il me fixe de ses grands yeux noisettes et esquisse un sourire timide. Une minuscule fossette se creuse aussitôt dans sa joue.

THE WAY - L'INCERTITUDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant