22: Y O W A N

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Ça fait plus d’un an que ma vie a basculé, que mon train de vie a changé du tout au tout, mon visage a changé du tout au tout.
Au départ, je pensais que tout cela était un cauchemar, et que je faisais le même tous les jours. Je voulais me réveiller, sortir de là, cependant, c’est quand je me suis hasardé à passer devant un miroir que j’ai compris. Tout cela était réel, j’étais défiguré, j’étais devenu un monstre. D’ailleurs c’est comme ça qu’un enfant m’avait appelé avant de s’enfuir en courant.

Un monstre.



À l’époque j’étais encore à l’hôpital à Addis Abeba, le lieu du drame, on m’avait déjà retiré les bandages mais je devais encore y rester pour la rééducation de ma main. J’étais assis dans mon lit, en train de penser à comment j’allais faire, ce que j’allais faire quand la porte s’est ouverte, c’était un enfant, il devait avoir une dizaine d’années et par la blouse qu’il portait, j’ai compris qu’il était aussi un patient de cet endroit. Dès qu’il m’a vu, il y a écarquillé les yeux, j’ai cru qu’ils allaient sortir de là puis il a crié « un monstre » et s’est enfui. Les infirmières qui travaillaient à côté l’ont intercepté et ont tenu à ce qu’il s’excuse, chose qu’il a refusé. Il avait peur.

Je ne peux contenir un rire amer quand je repense à cet épisode.
Apparemment il cherchait la chambre d’un nouvel ami mais il s’était trompé d’étage, de chambre.

Cet incident a eu quelque chose de positif cependant, ça m’a totalement ouvert les yeux sur ce que j’étais et sur comment je serai vu : un monstre. Et malheureusement je ne pouvais pas subir une chirurgie esthétique pour essayer d’arranger les choses ou du moins faire en sorte que ce soit moins horrible, c’était trop risqué et en plus certains de mes nerfs sensoriels ont été détruits.

Un monstre.

Un monstre.

Un monstre.

Ces deux mots ne cessaient de tourner dans mon esprit, me hantaient, me détruisaient.
De retour au pays, j’ai déménagé et j’ai renvoyé tout mon personnel hormis Paul, le gardien, je ne voulais voir personne. Bien évidemment qu’on m’a cherché, à avoir des nouvelles, mais tous les messages et emails étaient non lus, les appels étaient non pris. À un moment j’ai changé mon numéro de téléphone et adresse mail personnels, changer le mode de fonctionnement de mon entreprise. Je travaille de chez moi, les réunions sont faites en visio-conférence et bien sûr avec un écran noir de mon côté. Hormis mon meilleur ami qui a usé de stratagèmes pour savoir où j’étais, personne ne le sait. Et je lui suis reconnaissant de ne pas l’ouvrir, ni de chercher à me voir.

Cependant les choses ont pris une autre tournure lorsque ma mère est partie en voyage. Elle m’avait prévenu qu’elle avait employé une jeune fille mais je n’étais pas d’accord. Je ne voulais personne dans ma maison. Peu importe si c’est moi qui m’occupais du ménage, je ne voulais personne. À cette période mes cauchemars se faisaient plus nombreux, toujours les mêmes scènes, j’avais l’impression de ressentir la douleur de l’acide sur moi, j’entendais les cris, les miens, les siens. Et je me réveillais toujours en sursaut, trempé par ma sueur, d’humeur maussade. À un moment, je me suis demandé pourquoi j’étais encore ici. À quoi ça servait que je continue de travailler alors que je ne pouvais pas dépenser mon argent, ma mère en a assez donc ça ne lui servirait pas trop, j’ai voulu tout arrêter, cette vie, ma vie. Je n’allais nulle part, mais je pensais à ma mère, elle ne mérite pas d’être encore plus malheureuse car je sais qu’elle l’est à cause de moi, mais je n’y peux rien. C’est au-dessus de mes forces. Elle n’a que moi, je ne suis pas égoïste au point de la laisser seule.

Aim at youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant