Je regardais 115 et 116, impatient d'entendre l'histoire d'une autre voix. Ils avaient vécus des années, par journée mise bout à bout, avec deux voix dans leur répertoire. Je laissa un petit silence, toussa pour m'éclaircir la gorge et je débuta :
Je me nomme Marco Dionisio, membre d'équipage de troisième rang, affecté à l'étude et la simulation du vieillissement des circuits primaires de refroidissements du vaisseau. Un long titre pompeux qui n'est d'ailleurs pas complet... pour dire que je réparais les canalisations d'eau et de vapeur sous pression qui parcourraient toute une couche de l'Infinité. Je n'étais pas seul pour le faire. Il y avait avec moi une sacrée équipe au bureau d'étude, le BE, afin de simuler les tuyauteries. On essayait de faire de la maintenance prédictive et d'inspecter les centaines de kilomètres de canalisations en amont des problèmes. C'était toute la difficulté. Rien que dans une section c'était des kilomètres de pipes. Beaucoup de travail.Dans tout le vaisseau, on était plusieurs groupes dédiés à cette problématique. Généralement, on ne communiquait que peu entre nous, il existait une certaine rivalité. Chaque BE était indépendant dans son secteur, même si parfois on devait bosser ensemble, pour le bien du projet.
Ce qu'on développait beaucoup c'était les jumeaux numériques, c'est-à-dire que l'ensemble du vaisseau avait été modélisé virtuellement. D'ailleurs c'est ce que tous les opérateurs utilisent avec leur casque de réalité augmentée. Vous deux également. Ce modèle vivait sa vie en même temps que le vrai. Quand le vrai était malade, le virtuel l'était également et vice-versa. On se trompait généralement peu, même si on devait parfois mettre à jour nos données. Le modèle convergeait toujours.
Tout çà c'était ma routine depuis le début du voyage, nous travaillions par phase d'éveil quand l'équipage nécessitait notre expertise. J'ai connu comme vous, les sessions de caissons à vous retourner l'estomac.
Le jour de l'accident, j'étais éveillé, à mon bureau dans une allée centrale de la section S95, proche d'une vitre qui me laissait voir le passage. Cela faisait d'ailleurs un moment que j'y voyais passer pas mal de monde, alors que l'artère est généralement vide après le repas. Nous avions l'habitude de décortiquer le résultat du sport, les matchs entre équipes de la section pendant la pause méridienne. Nous fumes interrompues par l'annonce inhabituelle :- Attention. Attention. Veuillez évacuer la section au plus vite. Veuillez vous diriger vers les points de rassemblement. L'alarme va sonner en suivant.
L'alarme couvrit la stupéfaction et les interrogations de chacun et chacune. Puis quelques dizaines de secondes après, l'annonce fut réémise.
- Qu'est qu'on fait ? C'est sérieux demanda Thiber.
- Il faut attendre le chef, il va nous expliquer : dit un autre membre de l'équipe derrière son poste.
- Regardez : dis-je à l'équipe, pointant alors la coursive en pivotant sur ma chaise. Il y a vraiment du monde qui bouge. C'est peut-être sérieux.
- On devrait partir. Faire comme eux : insista Thiber.
Le chef fit irruption dans notre espace, pour nous dire de décamper rapidement. Prenez le minimum, on évacue !- On évacue la section ?
- Non on quitte le navire : dit-il d'un air inquiet.
- Attends, tu as plus d'info ? demanda Sarah.
- Non, pas plus que vous, mais la N+1 a dit que c'était pas un exercice. Fermez tout et on se rejoint dans la navette. Bonne chance à tous...Je pris mes papiers, mon holocom' et comme tous mes collègues nous quittions le BE pour rejoindre ce qui se présentait désormais comme un flot continu de membre d'équipage et de matériel dans lequel nous devions nous insérer. Toujours au son de l'alarme d'évacuation, les éveillés et le personnel naviguant quittaient brusquement leurs occupations, les coursives paisibles et spacieuses s'emplirent brusquement d'une meute de personnes en détresse, qui se bousculaient et s'empressaient de gagner les navettes de sauvetage. La vitesse se réduisait à mesure que nous semblions nous rapprocher des navettes. Au début nous étions groupés, mais à mesure que nous avancions, nous nous sommes fait séparer par les courants de personnes se mêlant à la marée humaine. Jusqu'au moment où nous étions à l'arrêt. Plus un mouvement pendant 5 minutes. Quelques mètres ensuite avant d'être de nouveau stopper.
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Le voyage vers Véga
Science FictionLes systèmes stellaires de la Galaxie se meurent, s'effondrent, par la guerre, le manque de matières ou l'avidité de certaines corporations. Quand il fallut abandonner son foyer pour une autre planète hypothétique, à des centaines d'années lumières...