Chapitre 1.3.a - Le réveil des sens

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Le deuxième réveil se produisit 4 années 40 jours et 22 heures 01 minutes plus tard. Ce n'était toujours pas commode pour se réveiller, mais 115 devait faire vite. Cette fois-ci, commençait le vrai boulot: un objet inconnu, dont la trajectoire rencontrerait le secteur du binôme, devait être détruit ou à défaut dévié de la trajectoire de collision. En effet, le vaisseau ne pouvait se permettre de dévier de son cap, les réserves de carburants étaient trop précieuses.

Une légère alarme retentissait dans son module d'habitat, plus l'objet se rapprochait plus le bruit s'intensifiait et le tempo s'accélérait.  Pas le temps pour le petit repas, il prit son casque, entra le nouveau code de la journée d'éveil et regagna rapidement son poste, qu'il initialisa le plus vite possible en commençant par la com':

- Ici 115, presque prêt pour l'interception. Terminé

- Ici 116, je calcule les vecteurs de tirs. Je vous les transmets, terminé.

Quelques minutes plus tard, l'alarme devenait plus intense:

- Ici 115, les commandes de tirs sont prêtes. Je m'apprête à tirer suivant vos calculs. Terminé.

Au moment de presser la détente, les deux manches de direction à la main, 115 hésita. Il y avait peu de missiles à bord, chaque tir devait être nécessaire et surtout réussi. C'est pourquoi encore dans ce cas précis, le binôme avait tout son intérêt: un faisait les calculs et l'autre exécutait le tir, le choix était déterminé par le premier levé. Un raté serait synonyme de blâme par la hiérarchie, mais le son exténuant de l'alarme qui n'arrêtait plus d'augmenter de tempo le fit presser la commande de tir.  Aussitôt un vecteur sortit de son horizon de vue, derrière l'habitacle de 116 et disparut avec fulgurance vers l'objet. Il gardait les mains sur les deux manettes de direction au cas où il devrait faire des corrections par lui-même afin d'attendre la cible. C'était le principal rôle du tireur.

Un des moniteurs du tableau de bords retransmettait la vision de la camera embarquée. Son regard faisaitrégulièrement des aller-retour entre l'écran avant les commandes. L'objet hostile fut en vue et le missile explosa quelques instants après. 115 demanda:

- Ici 115, on a réussi ? Terminé.

- Je vérifie les senseurs. - un temps - l'objet a bien été dévié de notre trajectoire.

115 fut soulagé put desserrer les poings et se détendre sur sa chaise.

- ouf, soulagé... 115 Terminé.

- Tu peux  oublier le protocole entre nous... on va travailler ensemble encore 765 ans, autant nous mettre à l'aise.

- Bien reçu 116. Ter... ça marche.

- Ahaha les habitudes sont dures. 

A cet instant là, tel un automatisme, la phrase lui traversa l'esprit: le premier réveil est toujours le plus dur. Ce fut sûrement aussi le cas pour 116.

116 reprit: mais oui, ce premier objet hostile dévié fut un franc succès pour notre binôme. Regarde la com' interne, on en parle.

115 regarda via son casque RA, la fenêtre dédiée aux courriels internes et puis lut la notification de leur réussite. Une phrase très générique et ennuyeuse citait leur exploit. D'autres opérateurs avaient également réussi des déviations sur d'autres secteurs. Mais il n'eut le temps de s'attarder sur les autres messages que déjà le casque lui signalait les autres tâches à effectuer. Quitter le poste puis retourner en sommeil. 116 communiqua:

- C'est quand même bizarre de tomber sur un objet aux confins du système solaire. La probabilité de rencontrer un si petit objet est quasi nulle.

- Petit il fait au moins 1 kilomètre de diamètre.

- oui mais rapporté à l'échelle de l'univers, nous sommes bien minuscules.

116 commençait à fermer ses volets qui réfléchissaient de plus en plus les rayons du soleil vers lui. Il fit de même.

- Bonne nuit 115. Je me déconnecte des com'.

- Bonne ...

Il n'eut le temps de finir sa phrase qu'il s'interrompit pour ne pas parler dans le vide. Il éteignit alors son poste et regagna ses quartiers. Il se débarrassa en premier de son casque qui le gênait avec toutes les informations qui venaient constamment se superposer à sa vision. Il était impossible de l'enlever complétement mais la visière suffirait. Il la rangea dans son étui avec précaution. Son regard remonta de la table pour s'arrêter sur une glace murale. En se voyant, il ne se reconnaissait plus. Il avait abandonné sa personnalité en montant à bord, l'apparence en faisait partie.  C'est d'ailleurs ce qui lui avait permis d'être sélectionné. L'abnégation était la qualité première des membres d'équipage. Ils devaient tout abandonner bien qu'ils eussent pu vivre encore toute leur vie sur la planète, malgré les aléas climatiques extrêmes qui commençaient à devenir récurentes. Cela restait de la survie dans les deux cas: pour ceux restés à terre et ceux partis dans les étoiles. Au moins je préserverai l'Humanité se disait-il à chaque coup de mou.

Un repas vite englouti, les électrodes et tubes enclenchés, il pouvait désormais se replonger dans un long sommeil...









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