10. En vie

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Jamie

J'ignore si je suis heureux ou pas d'être en vie. Malgré le sang perdu et ma période d'inconscience après m'avoir entaillé le bras, c'est totalement limpide dans ma tête : j'ai voulu mettre fin à tout ça, à cette souffrance, à ces démons, à cette culpabilité que je ressens depuis l'agression de Shana. Je pensais réellement que j'allais y passer, mais quand je me suis réveillé ici et que le médecin m'a parlé d'Elena, j'ai compris que j'en avais réchappé uniquement grâce à elle. Il a été clair sur ce point : si elle n'était pas revenue dans l'appartement à ce moment précis et qu'on m'avait trouvé quelques heures plus tard ou pire, le lendemain, je serais à la morgue, à l'heure qu'il est. Et ça n'aurait peut-être pas été plus mal. Ainsi, toute cette souffrance aurait cessé. Je n'attache pas tellement d'importance à ma vie pourrie — quoi que la présence d'Elena la rend plus belle et plus joyeuse — mais pourtant avant hier, jamais je n'avais fait un tel geste en espérant trépasser. Le déclencheur, ça a été l'annonce de mon frère concernant leur bébé. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Je me sentais déjà trop coupable vis à vis de ce qui est arrivé à Shana, alors apprendre qu'à cause de ça, leur bébé est mort, c'était trop lourd. Et ça l'est toujours à l'heure actuelle. Si j'avais été là au lieu de me pavaner aux USA, Shana n'aurait jamais été agressé et si elle n'avait pas été agressé, alors leur bébé serait toujours en train de grandir dans son ventre et le couple ne serait pas détruit.
Allongé dans le lit d'hôpital avec cette chemise affreuse sur le dos, je pose mon regard sur le bandage à mon bras droit qui recouvre la moitié de mes tatouages, mais surtout, ma cicatrice récente et ancienne puisque je me suis rouverte celle que Keziah m'a fait il y a des années. Keziah que je rêve de croiser pour lui faire souffrir le martyr, mais je sais très bien que si je le vois, je vais être incapable de rien, totalement pétrifié par sa présence. Les séquelles dues à ses coups ne disparaîtront jamais vraiment. A jamais, j'aurais peur de lui.
On toque à la porte de ma chambre. Je détourne mes yeux de mon bandage et avant que je ne donne l'autorisation, une femme entre.

— Bonjour monsieur Doyle, est-ce que je peux entrer ?

Sans attendre ma réponse, elle ferme la porte derrière elle et m'envoie un sourire. Longs cheveux roux qu'elle a attaché en queue de cheval, lunettes, yeux bleus et une peau parsemée de petites tâches de rousseur, elle me fait un peu penser à Audrey Fleurot, vous savez, cette actrice française magnifique.

— Vous êtes qui ? demandé-je brutalement, un regard dédaigneux posé sur elle.
— Je suis Elwyn Murphy, je suis psychiatre.
— Je ne vous ai pas demandé, vous n'avez rien à faire là.

Pas question qu'une spécialiste des maladies mentales reste dans cette chambre.
Elle sourit et s'installe sur la chaise posée à la droite de mon lit.

— En effet, vous ne l'avez pas fait, mais c'est la procédure quand un patient est hospitalisé après une tentative de suicide.
— Je n'ai pas besoin de vous, je vais bien.

Elle tente de poser une main sur mon bras, je l'éloigne rapidement, pas question qu'elle, ou quelqu'un d'autre d'ailleurs, entre physiquement en contact avec moi.

— Non, vous n'allez pas bien, Jamie, sinon jamais vous n'auriez tenté de mettre fin à vos jours.
— Vous ne savez rien de ma vie, alors dégagez.

Mon agressivité ne semble pas la faire fuir, au contraire, on dirait presque qu'elle en a l'habitude.

— Monsieur Doyle, vous n'allez pas bien et c'est mon travail de vous guérir. Vous voulez bien me parler de ce qui s'est passé hier ?
— Non.

Je me détourne pour ne plus la voir et retourne quelques heures auparavant, après l'appel de mon frère. Ce couteau m'apparaissait comme une délivrance, le Saint Graal qui mettrait fin à ma souffrance et ma culpabilité. Je l'ai empoigné fermement, l'ai regardé de longues secondes. Puis, doucement, je l'ai approché de ma cicatrice. La pointe du couteau s'est enfoncé lentement dans ma peau. Je ressens encore la douleur que j'ai perçu, mais je n'ai pas arrêté. Au contraire, j'ai continué, lentement. Au fur et à mesure des centimètres, du sang jaillissait de ma veine, je ne voyais plus que ça. Puis au bout d'une dizaine de centimètres, accablé de douleur, j'ai lâché la lame et me suis effondré au sol. Pendant un instant, j'ai regretté mon geste, je voulais revenir en arrière pour que quelqu'un arrive et m'en empêche. Et après le regret, je me suis dit que c'était la seule solution si je voulais enfin sortir de ce cercle vicieux et que je voulais enfin arrêter de souffrir et de culpabiliser. J'ai même prié pour que mon cœur lâche rapidement. Ce qu'il n'a visiblement pas fait, puisque je suis encore là.

Across the USA - Between Toulouse and Dublin tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant