XXIV - Irréalité - Partie 2

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07 février 1875 — Sultakara

Disposés autour d'une grande table d'ébène, des nobles et hauts-gradés sultakarois attendaient, réunis en catastrophe. Dès qu'Adja les avait appelés, mentionnant le Sceau du Lion et une réunion cruciale, ils avaient afflué de tout part. La tension palpable, toute cette éminente assemblée attendait l'arrivée du roi.

Raclant le sol dallé, les lourdes portes de la loge royale s'ouvrirent, dévoilant Assad. Les talons de ses bottes renvoyant un écho lugubre dans la salle, il remonta la table jusqu'à arriver à l'autre bout de celle-ci, où un faste trône d'or à l'assise saphiréenne l'attendait. Il prit place, donnant son dos à la large baie vitrée derrière lui, donnant une vue splendide sur la ville endormie, non au fait des dernières nouvelles. Dos qui avait d'ailleurs fait sensation. Bien qu'il fasse nuit, la faible lueur des candélabres avait suffit pour percevoir la blessure en croix qui lacérait le dos d'Assad.

Ce dernier pointa son doigt vers le lustre de cristal et les chandelles s'embrasèrent, éparpillant ainsi les ténèbres qui s'étaient installées dans la loge. Alors, presque toute l'assemblée étouffa, plus ou moins discrètement, des exclamations stupéfaites. Que ce soient les cicatrices du roi, ses vêtements déchirés par endroit, ou son visage livide, Assad ne semblait être que l'ombre de lui-même.

Avant même de les saluer, Assad balaya son regard morne tout autour de lui. Commençant par la gauche, où Adja était directement assise à ses côtés, il descendit toute la table, avant de la remonter par la droite avec son regard. Sur ce côté, deux sièges demeuraient vacants ; les places de Grenat et Shems, ses deux lieutenants hospitalisés. Assad ne regarda même pas la chaise directement à sa droite, où Zahya devait normalement faire face à Adja. C'était trop dur.

— Votre Majesté ? croassa un vieil homme.

Il s'agissait d'un patriarche de la noblesse, le doyen d'une ancienne et puissante famille sultakaroise. Il l'avait toujours connu aussi vieux, avec ses épais sourcils qui tombaient sur ses yeux, même quand Assad n'était qu'un petit garçon. Assad observa le vénérable, lui donnant tacitement l'accord de s'exprimer.

— Où est donc votre épouse, la reine ?

Assad inspira brutalement, tout en détournant son visage vers le dossier vide de Zahya. La réalité le rattrapait comme une gifle. Aussi liés qu'étaient les époux, plus d'un avait dû s'étonner de son absence à cette assemblée.

— Savez-vous pourquoi le chevalier maître et la générale sont absents ?

— Nous... commença Assad.

Sa voix ne tremblait pas. Remerciant le ciel, il poursuivit.

— Nous sommes rentrés à Sultakara, il y a peu. Notre retour apporte les prémices d'une époque sombre. Le corps royal de l'Adrastée, ainsi que ses plus fidèles vassaux, en ont d'ailleurs fait les frais.

La voix d'Assad était aussi lourde que les nuages pouvaient l'être dans le ciel par temps de tempête. L'assemblée se tenait sur le qui-vive et s'échangeait des regards éloquents, s'attendant à une annonce explosive dans les secondes qui suivraient.

— Darkodem s'est suicidé. C'est un fait réel, constaté par moi-même, ainsi que l'ensemble de mes compagnons de voyage. Sous nos yeux, il s'est jeté dans l'Âme de la Planète, se perdant à jamais dans les méandres de magie brute qui serpentent au coeur de Terhera. Qui aurait pu se douter alors, qu'il laissait derrière lui un amer présent ?

Terreur Lunaire - Livre 1 - Vers le Cœur ArkhaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant