CHAPITRE 2

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SHADE


Quand les doubles portes de la mort s'ouvrent, l'odeur tranchante du sang me saisit à la gorge. Mes narines tressautent sous cette puanteur métallique qui me décape les muqueuses. Le sort du type qu'ils délogent de l'Abattoir me semble presque préférable. Au moins, son inconscience sert à quelque chose.

Dare McTyre natus 258NA985. Gamin en piteux état. Autrefois, l'abondante enveloppe charnelle abritait un simulacre d'homme. Ce soir, elle suinte de tous les côtés, perforée, laissant entrevoir la mixture de sa peau molle et craquelée mélangée à la bouillie de ses organes.

L'ancien corps humain dégouline à intervalles réguliers sur le trajet vers l'infirmerie. Dégueulasse. L'odeur de sa merde et de sa pisse parvient presque à occulter celle de son propre sang. Je le suis des yeux, le nez plissé, jusqu'à ce qu'il disparaisse à l'angle du couloir.

Malgré les relents fétides de décomposition s'attardant dans l'atmosphère, un sourire animal déchire mes lèvres. Je tourne la tête. Tandis que les portes de son sanctuaire se referment, Zyar transperce mes pupilles de ses globes oculaires rougeâtres. Une ignominie presque plaisante au milieu du reste de l'assemblage métallique qui lui sert de corps matériel.

Je me retrouve seul avec la représentation cyborgienne de l'Intelligence Artificielle. Ses Fils sont retournés à l'intérieur de l'Abattoir. Pour nettoyer, je suppose. Hilarant, Shade! Je sais, merci.

L'épaule appuyée contre les casiers du couloir, mon arrogance se heurte à sa menace silencieuse. Je croise les bras, lève un sourcil. Zyar croise les bras par mimétisme. Idiot! Mon sourire de taré fait dérailler son code. Je suis sûr que les nanorobots s'agitent là-haut.

Qu'est-ce que tu regardes? m'attaque-t-il finalement, de cette voix robotique désincarnée qui achève de décrédibiliser sa pseudo-humanité.

— Le parfait déroulement d'un plan sans accros.

Les coins de ma bouche remontent encore un peu, dévoilent mes dents, creusent mes fossettes. J'ai l'air d'un fou. Zyar abandonne.

Dégage, Harper!

Je me détourne dans un ricanement. Figure d'autorité, mon cul! Ce n'est qu'une machine, comme les quatre autres Intelligences Artificielles s'occupant de cette pension. Une aberration d'une inutilité absolue. Pas de quoi flipper sa race.

Machinalement, je lance et rattrape un vieil écrou alors que je déambule seul dans les couloirs. La Pension NA21 district 64B, New Angeles, Athéa. Quel nom clinquant pour la merde que ces murs incarnent, le dégoût qu'ils m'inspirent. Mais les Harpies ont toujours eu l'art du spectacle, une tare qu'on se partage sans aucun doute.

Ça me donnerait presque envie de gerber. Comme la bouffe que ce foutu Bot ose déposer en une flasque visqueuse sur mon plateau. Mon estomac s'insurge comme tous les soirs. Mais comme tous les soirs, je me cale dans le fond de la salle, table habituelle loin des cuisines et j'essaye de manger sans trop regarder. Parfois j'imagine que ma langue est anesthésiée. Je sais toujours pas si ça aide.

Je regarde ma montre, avale. Mes orbes verts s'attardent sur chaque tête un peu crade du réfectoire, dodelinant au sommet de charpentes maigrichonnes. Que des insignifiants, des assemblages de peaux, de chairs et d'organes sans aucun intérêt. Les Clans débarquent toujours plus tard et Berlioz...

Berlioz est en retard. Comme d'habitude.

Je grimace sous l'arrière-goût immonde de ma dernière bouchée. Le Guetteur au-dessus de ma table me dévisage. J'essuie ma bouche avec ma manche et le toise salement. Putain de machine...

ManipulationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant