CHAPITRE 26

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SHADE





Le vieux médiBot de l'infirmerie termine son examen quotidien dans un grincement routinier. Son arceau métallique autour de mon bras se desserre après la prise de ma tension. Ses yeux changent d'état successivement, le temps d'assimiler et d'enregistrer les chiffres récoltés avant de se tourner vers Dust. L'IA a retrouvé toute sa splendeur. Sa mise à jour lui a fait peau neuve et il devient plus difficile de le manipuler.

Ils communiquent brièvement, à renfort de bips poussifs et de couinements étranges. Dust hoche la tête distinctement avant d'éponger son front holographique avec un faux mouchoir. Ses pupilles violacées croisent mon regard ennuyé quand il décide finalement de s'approcher de quelques pas.

—   Ta tension est un peu basse, Shade. Est-ce que tu es sûr de bien faire tout ce qu'il faut pour optimiser ton rétablissement ?

—   Comme éviter de me retrouver à l'Abattoir une seconde fois, tu veux dire ? ironisé-je en me rhabillant.

—   Comme suivre ton traitement à la lettre, petit insolent, soupire-t-il en joignant ses mains.

Le médiBot me tend un gobelet contenant deux pilules de Repousse que je m'empresse d'avaler. Dust scrute tous mes gestes avec attention puis me demande de tirer la langue pour vérifier l'intérieur de ma bouche. Je repense alors à mes repas manqués, aux consultations ignorées, à mon manque de sommeil et à mon acharnement à continuer d'exercer une activité physique en dépit de la douleur.

—   Je t'assure que je suis toutes tes instructions pour guérir.

Sans oublier ma récente cuite.

—   Fantastique. Maintenant, va-t'en avant que je décide de ne plus te croire.

Je me lève du petit lit miteux et quitte l'infirmerie en lui adressant un rictus mesquin. La plupart de mes blessures de l'Abattoir se sont atténuées grâce aux médicaments accélérant ma guérison. Mes cheveux ont pratiquement retrouvé leur longueur d'avant et seules les plaies les plus profondes forment encore des croûtes noircies auréolées d'hématomes bleu-violet à la surface de ma peau.

Mon visage est redevenu présentable, si on exclut la cicatrice sous mon menton et les coupures autour de ma bouche et de mon arcade sourcilière gauche. Je n'ai pas besoin de faire plus d'efforts.

Tout est en train de rentrer dans l'ordre.

Je rejoins rapidement ma piaule, mon écrou entre les doigts. Berlioz m'a dit qu'il voulait me parler et que c'était important. Il est sorti de l'infirmerie le lendemain de sa crise, mais je redoute ses reproches à propos de mon inaction de la dernière fois, ou pire qu'il me reparle de Newton Park. The Rule s'est soudainement compliqué depuis mon trou de mémoire.

Un malaise palpable régit mes échanges avec Reyna et ça m'emmerde. Je bois rarement, justement pour éviter ce genre de conneries. On agit toujours comme un con quand on est bourré.

Je tourne pour rentrer dans le dortoir et me fige devant la scène. Je nage en plein délire. Je retiens un ricanement sarcastique en avisant la petite réunion illégale. Je repère mon meilleur ami assis contre le pied de notre lit superposé, entouré de ses amis d'enfance. Berlioz rigole bruyamment avec Lagosian et Isaz, tandis que Jadde essaye de faire voler un avion en papier. Le gamin court partout dans la pièce, sans prêter attention au sujet de discussion du trio.

Je me racle exagérément la gorge pour attirer leur attention. Les rires et conversations se tarissent et des regards, aussi disparates que curieux, se tournent dans ma direction. Au milieu de cet attroupement sordide, je me fixe alors sur une paire d'yeux bleutés qui n'a vraiment rien à foutre dans mon décor : Alix Scharp.

ManipulationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant