CHAPITRE 7

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REYNA


Dans la nuit noire, j'ai presque l'impression de savoir qui je suis. Le bruit s'évapore peu à peu pour laisser la place aux néons colorés des enseignes ostentatoires. À un vent de liberté. Je réfléchis mieux la nuit, quand les problèmes dorment. Je respire mieux.

Alors que mon dropper file vers le Village Concours, j'observe une tout autre population s'animer, à l'heure où les foyers familiaux éteignent leurs lumières. Il est presque minuit. Je souris. La Séparation a permis cela, des jeunes filles fêtardes et insolentes qui préfèrent sortir la nuit et dormir le jour.

Un privilège impossible dans un monde d'hommes vils et scabreux, de violeurs, de tueurs. La nuit présentait tant de dangers avant. Aucune femme n'aurait osé sortir après le coucher du soleil, encore moins aux alentours de minuit un samedi soir. Cet apaisement inopiné aujourd'hui n'est qu'une preuve de plus de la réussite de la dissociation des genres.

Et je remercie Athéna chaque jour de nous avoir donné la force d'accomplir un tel exploit.

J'ai presque l'impression de savoir qui je suis la nuit. Il n'y a plus de concurrence, d'attentes, de regards méprisants et hypocrites. La pression dort la nuit. Et moi, éveillée par les cauchemars, je peux enfin prendre le temps de sonder mon être. Écarter Newton Park, répertorier mes victoires, mes doutes et tout ranger. Tout organiser pour que le lendemain soit plus simple à supporter.

Pour que mon armure soit parfaite.

Mais ce soir, tout est plus difficile. Cette nuit porte un goût de journée dans son sillage lumineux. Un fantôme d'exigence et d'objectifs. Cette nuit m'est volée par Shade Harper et ses insupportables esquives.

C'est la première session nocturne de The Rule et je n'ai toujours pas droit à l'erreur.

Une semaine s'est écoulée. Mon rang se fait déplorable, un milieu de classement amer, décevant. La Matriarche me l'a parfaitement expliqué au dîner hebdomadaire de ce soir.

«Il te faut une stratégie viable, Shade Harper est un personnage complexe. Tu dois l'amener à se confier, manipuler ton discours et tordre les mots pour que sa bouche s'ouvre toute seule, c'est aussi simple que cela. Il n'est rien. Il n'a rien. Prouve-lui que tu vaux mieux que lui, que tu es meilleure que lui et inconsciemment il cherchera ton approbation.»

Je n'ai pas osé lui révéler que sa simple présence à quelques mètres de moi me rendait brûlante de rage. Et mes attaques ne sortent pas comme je le voudrais. La neutralité m'échappe, il force mes émotions à s'afficher sur ma chair, à modeler mes expressions. Leur violence fauche ma respiration et mes phrases s'assèchent, mordent, grognent et congédient l'adversaire.

Personne ne coopérerait dans ces conditions. Et même s'il cherche à me persuader du contraire, je sais qu'il est suffisamment intelligent pour tirer avantage de la situation.

Je tremble, parcourue d'immondes frissons post-traitement. Je grimace et tâte les nervures glaciales sous mon sweat-shirt difforme. J'exècre cette sensation, cette froideur cadavérique contre la déchirure de mes cicatrices. Par Athéna, laissez-moi tranquille. Le Biologel m'épuise, m'irrite.

Son inutilité n'a d'équivalent que la compassion dégoulinante de Nix à chaque injection. Son opinion n'intéresse personne et je ne veux certainement pas de sa pitié. Moi, je ne suis pas désolée. Ni ma mère ni aucune autre. Comme Zelda me l'a souvent répété, je n'ai qu'une revanche à prendre, une force à prouver. Ce n'est qu'un évènement. Ça ne peut pas m'atteindre. Ça ne doit pas m'atteindre.

Ça ne doit pas m'atteindre.

Mais comment expliquer que tout est encore là ? Le grésillement des appareils mis hors service lors de la première explosion magnétique. Le verrouillage des portes. La seconde déflagration. La fumée dans mes narines, la poussière et le sang dans ma bouche. Le feu contre mes côtes.

ManipulationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant