CHAPITRE 34 | PARTIE 2

979 113 11
                                    

SHADE






Les Limbes.

Une  fissure ouverte de deux kilomètres d'épaisseur séparant la frontière  Est de New Angeles, du reste d'Athéa. Une faille ô combien célèbre,  ouverte après une succession de tremblements de terre un siècle après la  Séparation, que l'Histoire nommera finalement, l'Apocalypse des Six  jours.

Sous l'Ancien  Temps, les géologues appelaient un séisme d'une telle ampleur, le Big  One. Ça ne se produisait pas souvent, c'était l'histoire d'une fois tous  les cent-cinquante ans environ. Une anecdote meurtrière.

Mais  avec le dérèglement climatique, les aléas naturels se sont multipliés,  amplifiés. Et aujourd'hui, s'il fallait comparer, nous pourrions  aisément qualifier l'Apocalypse d'une centaine de Big One ininterrompus  pendant près d'une semaine.

Désormais,  le Sénat prévient les activités sismiques par la mise en place d'un  développement écologique durable. Et cette brèche ne demandait qu'à être  recyclée.

Les Limbes.

Une  fourmilière parcourue par des milliers de Couloirs de la Mort. D'une  profondeur de sept kilomètres, les prisonniers des Bas étages respirent  les effluves toxiques de soufre et subissent les rayonnements  magnétiques du noyau terrestre. Certaines rumeurs chuchotent que leur  peau fond progressivement sous la chaleur excessive du magma qui  ruisselle en contrebas.

Est-ce  donc là leur châtiment ? Une mort lente et douloureuse, à la manière de  poupées en plastique laissée trop longtemps au soleil. Dégueulasse.

Les  cellules creusées à même la roche rouge granuleuse semblent rétrécir au  fil des jours. Rien pour dormir, si ce n'est des cailloux grossièrement  taillés en pointe. Rien à avaler, si ce n'est la bouillie indéterminée  servie une fois par jour et directement injectée dans notre gosier. Rien  pour pisser, si ce n'est en forant un trou dans le fond de notre maigre  grotte.

Parfois,  quand les cavités superposées sont trop proches et que le prisonnier du  dessus creuse trop profondément, le plafond s'émiette et s'amincit  jusqu'à céder, libérant alors son mélange poisseux d'urine et de  déjections sur le détenu en dessous. Et alors, le visage couvert de  merde, l'insalubrité de ta Pension minable t'apparaît comme un putain de  palais royal.

Aucune  échappatoire envisageable. Seuls les aéroBots s'enfoncent le long du  gouffre pour gérer les trajets des prisonniers de leur cellule jusqu'à  l'Équitum ou pour apporter les repas. Du reste, aucune passerelle  n'existe entre les deux parois.

Des  barreaux plasmatiques rougeoient dans la pénombre scellant chaque  niche. Mais même sans cette sécurité, nous ne pourrions sortir des  Limbes. La surface rocheuse s'effrite au moindre assaut. Espérer  remonter en escaladant ne nous conduirait qu'à un inévitable plongeon  dans le vide, aux confins de l'abîme infernal.

Je compte les secondes pour conserver ma notion du temps. Ne pas devenir fou.

Je  crois qu'une semaine s'est écoulée. Peut-être dix jours. Ça commence à  être long, je pensais qu'elles voudraient en finir rapidement. Les  Équitas me font languir. Elles auraient déjà dû me convoquer.

Tic tac. Tic tac. Tic tac...

L'attente joue avec mes derniers neurones.

Tu oublies Reyna.

Reyna  n'est pas là et elle n'a jamais rien promis. Il n'y a même pas eu de  sous-entendu. Je me suis monté la tête tout seul, comme un abruti. Je  voulais y croire. Je ne suis pas du genre à attendre des choses des  autres, mais je voulais croire qu'elle me sauverait. Encore.

ManipulationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant