CHAPITRE 5

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REYNA


Le Village Concours a toujours transmis quelque chose d'inquiétant. Des centaines de complexes identiques entourés d'une immense clôture de dix mètres et dont les rues se peuplent d'un silence si glaçant qu'on craint de le perturber. Depuis toujours, le lotissement force le malaise dans nos corps, véhicule une sensation putride qui colle à la peau.

Cependant, je ne m'attarde pas trop sur les détails de mon arrivée : ni sur l'écran géant affichant le score des participantes à l'entrée ni sur le numéro de mon complexe ni sur les maigres minutes qui me séparent de la rencontre avec mon adversaire —bien que l'exactitude de ce temps imparti se rappelle inlassablement à moi.

Je dois rester concentrée sur mon objectif.

Juste avant de passer la porte, je me remémore la totalité du dossier fourni par Zelda il y a maintenant trois semaines. Shade Harper natus 258BT7, dix-sept ans, né le 19 octobre 258 après la Séparation. Et ce sont à peu près toutes les informations que je possède en ce qui concerne son identité. Lieu de naissance : confidentiel. Généalogie : confidentielle. Dossier psychologique : confidentiel.

Le seul autre élément notable demeure la longueur de son casier judiciaire. La liste de ses délits se rejoue dans ma mémoire : vols, agressions, violence physique, intrusions dans des secteurs privés, grève de la faim, incitation à la révolte, pyromanie et ça continue encore. Le gamin s'est vu transférer dans la Pension NA21 district 64B quand il avait douze ans. Les transferts n'arrivent jamais.

Le reste du dossier est classé Secret Défense. Je n'ai accès ni à son véritable prénom —empreinte magnétique constituée de ses initiales : JH — ni à la cause de son transfert, ni à quoi que ce soit qui m'aurait permis d'avoir un avantage sur lui. Grâce à ces données, je sais simplement que j'ai affaire à l'un des délinquants les plus dangereux des Pensions d'Athéa. Pourquoi en dissimuler autant sinon ?

Je touche une dernière fois la plaque autour de mon cou puis prends une grande inspiration. Il faut que je calme mes nerfs, je ne sais pas encore comment je vais réagir face à ce garçon. Mes muscles se tendent déjà à l'idée d'écraser mon poing sur sa gueule de menteur, broyer ses côtes puis achever ce nuisible. Assouvir ma vengeance.

Je souffle lourdement, ignorant les démons agités dans les recoins sombres de ma mémoire. Le bout de mes doigts picote, ma peau me tiraille. Je dois garder mon calme et ne penser qu'à mon objectif : indifférence, manipulation et extraction d'informations. Rien d'autre n'importe, c'est l'objectif avant tout.

Je passe la porte.

Je débouche directement dans la petite salle à manger de l'appartement. Mes pieds bloquent à peine franchi le seuil. Il est déjà là. Grand, imposant, sale. Sa présence m'oppresse. Mon cœur tambourine sous l'afflux soudain de sang alors que mon esprit se fond en un brouhaha sourd. L'explosion de Newton Park me revient en boomerang dans les tympans, se réverbère jusque dans les tréfonds de mes cicatrices insensibles et mes poings se serrent le long de mon corps.

Mes veines s'enflamment. Le feu grimpe entre mes cellules, contamine mes nerfs, mes os, contracte mes muscles. Je brûle de l'intérieur, je brûle de haine alors que ma gorge m'étouffe, ma poitrine m'écrase. Mes poumons suffoquent, ma langue cristallise. Je veux hurler. Je me tais. J'emprisonne le monstre de rage en moi, je le laisse agoniser dans les flammes contractant ma mâchoire pour ne pas l'exposer à la face du monde.

L'alarme retentit.

Je respire par à coups, tremblante mais maître de moi-même. Les démons se déchaînent à l'arrière de mon crâne, mais je les maintiens dans l'ombre. Dès que je sens la violence de mes muscles perdre une once de force, j'entreprends de décortiquer mon adversaire.

ManipulationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant