CHAPITRE 21

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REYNA





Ce matin, tout me paraît étrange. Inhabituel.

Le dropper file trop vite, mes constantes oscillent anormalement et modifient mon décor. Les couleurs diaphragmées par la vitesse m'apparaissent différemment. Trop éclatantes. Trop ternes. J'ai la désagréable sensation d'avoir été projetée dans un monde parallèle, en tous points semblable au mien, mais dont les détails dissonants me percutent à la manière de milliers d'astéroïdes.

Je me perds dans la contemplation de cette photographie devenue floue. Je plonge dans cette ville étrangère comme si je la découvrais pour la première fois. Comme si j'étais extérieure à son histoire. Ce trajet avait presque été oublié par ma mémoire. Cela fait si longtemps. Trop, ou peut-être pas assez... Je me rappelle de ma stupéfaction lorsque ma mère me l'a annoncé.

Comme tous les jours, je revêtais mon uniforme bleu foncé minutieusement. Face au miroir mural, je l'ai aperçue entrer dans ma chambre, puis me fixer de son regard sévère. Mes gestes se sont immobilisés d'eux-mêmes. Elle a croisé les bras, avant de déclarer d'une voix autoritaire :

— Ne prends pas la peine de te vêtir ainsi ce matin. Shade Harper est de nouveau en capacité d'assurer sa présence lors de The Rule. Tu réintègres le programme dès aujourd'hui.

Incapable de dissimuler ma surprise, ma bouche s'est ouverte et mes sourcils se sont froncés. Instinctivement, j'ai porté une main à ma récente blessure. Ce mouvement spontané était un appel, un message que ma langue n'a pas pu formuler sous l'emprise de ses orbes verts tétanisant. Mais après une brève inspection, elle a seulement ordonné avant de quitter la pièce :

— Dépêche-toi. Tu as assez perdu de temps comme ça.

J'ai acquiescé machinalement, avant de me déshabiller, prenant soin d'éviter de dévisager trop longuement la nouvelle cicatrice incrustée sur ma peau pâle.

J'ai eu de la chance.

C'est ce que les médiCorps m'ont dit. C'est ce que Seven m'a répété après m'avoir expliqué comment elle s'était jetée sur cette femme afin de dévier son tir qui visait ma tête. Puis, c'est ce que Zelda a soupiré entre deux remontrances lorsque je suis rentrée du CorpusParae une semaine plus tard.

Elle n'est pas venue me voir. Elle était occupée au Sénat. Mais j'ai compris, alors que je l'écoutais d'une oreille distraite, qu'elle me reprochait mon impassibilité. D'après elle, j'aurais dû me défendre et la désarmer en quelques secondes. J'étais entraînée. C'est ce que j'aurais dû faire, oui.

Comment lui dire que je n'en avais aucune envie?

Je me rappelle de ma culpabilité, puis du soulagement lorsqu'elle a enfin pressé la détente. Depuis huit ans, la mort me ramène à elle, inexorablement. Je ne faisais que me soumettre à sa volonté.

Mais comme me l'a annoncé Myra, la balle n'a pas explosé. Une chance rarissime. Le projectile aurait dû me transpercer de part en part : entrer par mon abdomen, trouer mes organes, mes veines, mes muscles, puis ressortir dans mon dos. Ou bien se coincer contre ma colonne vertébrale et libérer l'énergie contenue dans la bille quelques secondes plus tard, m'arrachant une partie de mon estomac au passage.

Mais rien de tout cela ne s'est passé. Miraculeusement, pour reprendre les termes des médecins, elle n'a pas explosé.

J'ai eu de la chance. Pour moi, ce n'est qu'un sursis de plus.

Le Village Concours n'a pas changé. Le complexe non plus. Et lui... J'ai du mal à me dire que ça fait trois semaines que je ne suis pas venue ici. Trois semaines que je ne l'ai pas vu. Une éternité s'est glissée entre nous depuis tout ce temps.

ManipulationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant