CHAPITRE 22

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SHADE





—   Shadow?

—   Hum ?

J'émerge peu à peu dans le monde réel. Mes paupières lourdes papillonnent tandis que je me masse la nuque. Deux yeux bruns me fixent prudemment, comme par peur d'aggraver mes blessures d'un simple regard.

—   Tu t'es encore endormi, constate mon meilleur ami. Tu devrais aller te reposer à l'infirmerie.

—   Je n'ai pas envie d'aller là-bas. Je suis sûr que tu peux comprendre ça.

Sa respiration profonde constitue une approbation suffisante.

—   Il faut que tu trouves un moyen de dormir la nuit.

—   Pourquoi est-ce que je devrais dormir la nuit ?

—   Parce que c'est ce que les gens normaux font d'habitude.

À mon simple rictus moqueur, il comprend qu'il a utilisé le mauvais terme. La normalité est quelque chose qui m'a toujours échappée. C'est encore plus vrai aujourd'hui.

—   Ton corps a besoin de sommeil pour aller mieux, reprend-il.

—   Pourquoi m'as-tu réveillé dans ce cas ?

—   Parce que tu es assis contre une étagère de la bibliothèque.

—   Et ?

—   Et parce que tu t'es endormi en plein milieu de ta phrase, souligne-t-il avec un regard appuyé. Mec, fais quelque chose. Tu ne vas pas pouvoir continuer ce petit numéro bien longtemps.

Putain, la ferme. Je sais qu'une part de lui me reproche la folie qui m'a conduit jusqu'à l'Abattoir. Il espérait mieux pour moi. C'est bien le seul. On t'a rien demandé.

Je me frotte les yeux et grogne. Berlioz me fixe toujours avec insistance, debout au-dessus de ma tête.

—   Quoi ? soupiré-je irrité.

—   Tu parlais encore tout seul.

Je romps notre contact visuel. Un puissant sentiment de honte s'enracine entre mes intestins. Ce n'est pas la première fois que la Voix me tourmente. Elle s'insinue dans mes pensées lorsque je suis le plus fragile, s'amuse à me terrifier. Je suis plus fou que je ne l'ai jamais été et Berlioz s'en est bien rendu compte.

—   Tu parviendras de nouveau à dormir dans l'obscurité, Shade. Ce n'est qu'une question de temps.

—   Tu y arrives, toi ?

—   Parfois. Quelques heures tout au plus. C'est mieux que rien.

J'acquiesce sans oser affronter son visage compatissant. Est-ce que je mérite réellement son empathie ? J'en doute fort. Berlioz a surmonté son traumatisme seul, sans l'aide de quiconque et surtout pas de la mienne. Il est plus fort que je ne le serai jamais. Même en faisant de l'Abattoir un choix volontaire, je ne parviens pas à en assumer les conséquences.

Tu as choisi. Oui, j'ai choisi. Il t'avait prévenu. Oui, il m'avait prévenu. Et tu ne l'as pas écouté. Je ne l'ai pas écouté. Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même. Tu t'es imaginé trop fort alors que tu n'es qu'un être faible. Je suis comme les autres. Non, tu es pire. Tu es cupide, égoïste et incapable de remercier le seul ami qu'il te reste. Tu ne vaux pas mieux. Je vaux certainement mieux qu'une ombre perdue dans ses nuances de folie.

—   Bon sang, la ferme !

Les mains plaquées contre mon crâne, je libère un râle d'agonie coincée entre mes lèvres. Ma mâchoire contractée déclenche une vague de douleur dans le haut de mon corps. Je n'en peux plus. La tentation de me taper la tête contre les rayonnages pour la faire taire me saisit à la gorge. Je suis toujours là.

ManipulationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant