CHAPITRE 19 BIS

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REYNA





C'est le froid qui me réveille. Puis l'odeur piquante d'une récente stérilisation ionique. Et enfin la douleur.

Quand je parviens à entrouvrir les yeux, j'ai l'impression d'être revenue huit ans en arrière. Une panique viscérale me prend à la gorge. Je m'agite. J'essaye immédiatement de me relever pour m'extraire de ce lit.

Je ne peux pas rester là.

Les machines reliées à mon corps s'emballent. Elles suivent les battements affolés de mon cœur. Tandis que je me redresse, un pincement aigu explose au niveau de mon estomac. Ma respiration se bloque.

Je me recouche doucement en grimaçant. Ma main frôle ma plaie douloureuse, couverte de frissons. Ma peau est glaciale.

Je jette un coup d'œil au tuyau planté dans mon bras pour m'en assurer. La couleur bleutée du liquide efface mes derniers doutes. Du Biologel.

Je soupire. Les bips reprennent une cadence normale.

Deux médiCorps débarquent finalement dans ma chambre. Je n'ai pas le temps de reconnaître la troisième personne. Mes paupières lourdes se ferment toutes seules.

— Évitez les mouvements brusques Mademoiselle Call, me conseille la première médecin, en inspectant mes constantes. Je ne voudrais pas que votre blessure se rouvre.

Je crois que j'acquiesce. Je ne sais pas.

La seconde médiCorps ôte ma couverture pour inspecter ma plaie. Elle vérifie les points de suture parfaitement réalisés du Dermoti, puis note les résultats sur sa tablette.

— Votre taux d'électrons plasmiques est encore un peu élevé à cause de la balle énergétique que vous avez reçue. Mais il devrait se stabiliser d'ici un jour ou deux. Reposez-vous, d'accord ? Et n'essayez plus de sortir de votre lit.

Elle m'adresse un sourire courtois avant de s'en aller avec sa collègue. La troisième femme reste dans la chambre. Elle prend quelques minutes avant de s'asseoir sur le fauteuil près de mon lit. Je crois un instant que Zelda est venue me voir.

Mais en tournant la tête, je repère facilement la chevelure blonde de Myra. Délicatement, elle attrape ma main gisant inerte sur le lit. La chaleur de ses doigts me fait momentanément oublier que l'on m'injecte du Biologel en continu.

— Bonjour, Reyna, chuchote-t-elle, comme par peur de me brusquer. Tu nous as fait peur, tu sais. Mais c'est fini maintenant. Les médiCorps t'ont retiré la balle. Tu es hors de danger.

Je hoche difficilement la tête. J'ouvre la bouche pour parler, mais ma langue pâteuse m'empêche de m'exprimer correctement.

— Où est... Où est ma... ma mère ?

La prise sur ma main se renforce. Myra fuit mon regard.

— Zelda a été prévenue. Elle... Elle a dit qu'elle ferait son maximum, mais c'est quelqu'un de très occupé.

— Je sais... Son travail est important.

Plus important que sa propre fille. Je fixe le plafond. J'entends Myra se rapprocher.

— Reyna chérie... (Elle marque une pause, incertaine quant au réconfort qu'elle souhaite m'apporter.) Le principal, c'est que tu ailles bien.

Bien ? Je ne me rappelle pas ce que cela fait d'aller bien.

Un goût de bile remonte dans ma gorge. Les souvenirs des jours qui ont suivi Newton Park me submergent. Le CorpusParae ravive mes pires cauchemars. Mes pires angoisses.

Pitié, faites-moi sortir d'ici.

— Myra... Je veux m'en aller... Sortez-moi d'ici s'il vous plaît.

La jeune femme me couve avec tendresse.

— C'est impossible, ma chérie. Il faut qu'on te soigne encore quelques jours.

— Myra, je vous en supplie... Je peux pas rester là... Je peux pas...

Mon souffle s'emballe. Myra se penche sur mon visage. Dans une préoccupation maternelle, elle écarte les mèches collées à mon front. Elle me sourit pour m'apaiser.

— Chut... Calme-toi... Là... Tout va bien. Tout va aller mieux maintenant.

Myra me murmure des paroles encourageantes jusqu'à ce que mon souffle se régule. Je la dévisage longuement. Curieusement.

Pourquoi me réconforte-t-elle ?

— Myra?

— Oui, Reyna.

— Pourquoi est-ce que je suis encore en vie ? Pourquoi est-ce que je ne suis pas morte ?

Ma question la déstabilise. Son sourire se fane.

— Parce qu'on t'a sauvée, répond-elle en me caressant les cheveux.

— J'aurais dû mourir.

Mon aplomb la fait tressaillir.

— Ce n'est pas encore ton heure, évite-t-elle vaguement.

— J'aurais dû mourir, répété-je. La balle m'a traversée. J'aurais dû me vider de mon sang. J'aurais dû...

— Chut, Reyna... Calme-toi.

Je m'interromps subitement sous sa voix mélodieuse. Elle continue.

— La balle ne t'a pas traversée, Reyna. Elle est restée coincée. (Myra prend une grande inspiration avant de continuer.) Elle est restée coincée et elle n'a pas explosé.

La surprise doit se lire sur mon visage. Elle n'a pas explosé. Impossible. Le phénomène se montre si rare que les médiCorps l'ont qualifié d'« éclipse totale ».

— Aucun organe n'a été touché. La balle a transpercé ton diaphragme, évité ton estomac, ton foie et tes poumons, puis elle s'est arrêté à deux centimètres de tes vertèbres. On te l'a extraite à temps.

— Comment est-ce possible ?

— Je ne sais pas, Reyna. Je te l'ai dit : cela ne devait pas encore être ton heure.

Mon heure, c'était il y a huit ans. Aujourd'hui, la mort avait l'occasion de rattraper cette bavure exceptionnelle, ce vice de procédure et elle ne l'a pas saisi. Pourquoi? Au nom d'Athéna et de toutes les Mères Fondatrices, pourquoi m'accorde-t-on encore un délai de plus ? Cela n'a aucun sens.

Myra laisse le silence nous envelopper. Je n'ose rien demander de plus. Ses mouvements dans mes cheveux m'endorment. Mon corps devient lourd. Mon souffle ralentit.

Quelques minutes plus tard, je sombre dans un profond sommeil.

ManipulationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant