CHAPITRE 12 | PARTIE 2

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SHADE



De retour à la Pension, je range Reyna et ses agitations dans un coin de ma tête. Bien loin, confinées derrière une porte blindée, deux cadenas et un foutu silence. Je dois compartimenter. L'étudiante vole toute mon attention de huit heures à quatorze heures, je lui accorde le rôle principal de ma pièce, de mon plan.

Mais quand je rentre ici, elle doit disparaître. Une autre représentation se joue en coulisse et elle ne fait pas partie des personnages. Toute ma concentration se dirige vers une manœuvre un peu plus importante que de séduire une fille brisée.

Faire sortir Berlioz de l'Abattoir.

J'y travaille sans relâche depuis cinq jours, usant de mes meilleurs tours, de toute ma folle ingéniosité. Les variables se multiplient. Je parlemente avec Dust pour qu'il m'aide, mais son code déraille trop pour que son appui soit viable. Alors je trouve des alternatives. Je traque des témoins, des gars de Loupo et d'autres faibles personnalités pour les forcer à parler.

Mentir pour disculper. Monter un plan, s'y tenir, tricher et manipuler. Le seul putain de talent dans mes cordes. Mais je n'inspire pas la sympathie. Ni la terreur. Ils savent que je suis désœuvré, seul malgré Isaz et Lagos qui s'activent également dans leur coin. Mes menaces et ma folie peuvent forcer la peur dans les rangs, mais Archer et Zyar me battront toujours à plate couture.

Je n'en démords pas. Si je peux lui épargner un jour, j'aurais gagné. Pour Dare c'était simple, les IA n'ont aucun moyen d'authentifier une arme. Pour Berlioz, il m'est impossible de manipuler les faits, les éléments. Et Loupo a bien fait les choses, il a dû leur fournir les images, tous les foutus paramètres qui lui permettaient d'appuyer son accusation.

Dans la mesure du possible, j'essaye de ne pas penser à ce qu'il subit. Mais mon esprit névrosé se complait à dépeindre la souffrance des autres. Il se montre particulièrement inventif. Les images s'infiltrent dans mes nuits, quand je baisse ma garde. Alors je dors peu. Le sommeil et moi, on ne s'est jamais vraiment entendu de toute façon.

Comme les quatre derniers jours, je cherche de nouvelles proies à intimider. J'arpente les couloirs de l'école, les dortoirs. Quelques insignifiants me dévisagent avec insistance, les conversations cessent à mon passage. Je fusille du regard les curieux qui se sont sentis pousser des couilles. Dans ma poche, mes doigts s'agitent autour de mon écrou fétiche.

Puis un gamin me bouscule. Je ne fais pas attention. Je l'insulte mentalement et le contourne pour continuer mon chemin. Mais sa main se referme sur le haut de ma combinaison. Je me retourne et l'inspecte salement, la mâchoire bloquée. Un blondinet maigrichon, le visage barbouillé de crasse et les yeux insolents. Mauvaise pioche, le môme.

Les aînés prennent en charge la plupart des enfants, en majorité des chefs de Clan qui cherchent à les recruter. Ils apprennent à avaler ce qu'ils ont dans leur assiette, à supporter les douches froides, et surtout, à ne pas faire de vagues, à moins d'en recevoir l'ordre direct. Pour en avoir déjà vu, je sais qu'un gosse solitaire ne survit pas bien longtemps dans ce genre d'endroit.

— T'as envie de mourir, petit ? grondé-je, agacé.

Immédiatement, sa petite main se détache de ma combinaison. Il recule de quelques pas. Une expression angélique, particulièrement inadaptée dans cette Pension, s'imprime sur ses joues. Une mise en scène pour paraître convenable. Quel culot. Son corps frêle le rajeunit, je lui donne à peine huit ans.

— Tu es Shadow Harper ? demande-t-il finalement, l'assurance dans sa voix trop déplacée pour sa faible expérience de vie.

Ses yeux verts me fixent effrontément et j'oscille entre lui accorder du courage ou bien une outrageuse stupidité. Le gamin n'a pas peur de moi. Il devrait. Une indécente audace brille dans ses pupilles, presque comme s'il se sentait en position de force. Il me ressemble au même âge, copie mes mécanismes.

ManipulationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant