Manipulation

CHAPITRE 31

REYNA

L'Œil se dresse au centre de la capitale. Le dôme sénatorial protège et accueille le pouvoir en place. Il intimide les faibles de ce monde. Il représente les fondations de notre pays, depuis la prise de pouvoir de Jacky Winters et le Nouvel An 0.

C'est pratiquement un temple.

Les seize murs du Premier Cercle impressionnent. La mosaïque, la grande porte surmontée d'une représentation de la déesse Athéna, la devise du Sénat, tout m'écrase. Les éléments s'assemblent pour décourager les arrivistes et les faux ambitieux. L'Œil n'accorde son entrée qu'à celles qui le méritent, celles assez fortes pour subir sa lourde responsabilité.

Je ne sais plus si ce sera un jour mon cas.

La Place de la Libération grouille d'Opératrices en position, armées de fusils d'assauts. Des Silencieuses doivent également se cacher dans le périmètre. Le Sénat a été placé sous très haute surveillance depuis la résurgence d'Artémis. Elles craignent une attaque massive de la Résistance. Des provinces proches de New Angeles ont été mises à feu et à sang ce matin même.

Elles se rapprochent.

Dans le ciel, quelques Ailerons automatisés survolent la zone, en renfort des Voltigeuses qui interviendront en cas de menace aérienne. Zelda ne m'a rien dit depuis que j'ai vu la propagande d'Artémis avec Néphyr. À vrai dire, cela fait trois jours que je ne perçois même pas sa présence dans la maison et au regard des dispositifs déployés, la menace est réelle et inquiète le Sénat tout entier.

La Matriarche doit avoir plus important à gérer que les crises d'angoisse de sa fille.

Son absence est peut-être la raison pour laquelle je me retrouve assise dans mon dropper depuis deux longues heures, en marge de ces jeux de pouvoir. J'observe le bâtiment sans parvenir à me décider. Ma jambe tressaute nerveusement, ma peau m'étouffe. Je ne devrais pas être là. Ajoutons cela à la longue liste de choses que je n'aurais jamais dû faire ces derniers jours.

L'ironie me vole un ricanement creux. Mes chances de remporter The Rule s'amincissent. Qu'importe mon piètre classement, j'ai peur désormais d'échouer au test final. Si elles reconnaissent des sentiments trop marqués pour mon adversaire, je perds. Je perds tout. Je ne veux même plus y retourner, je ne veux plus lui parler.

À cause de lui, je suis là, à remettre en cause un gouvernement que j'admire et vénère, qui me fascine et en qui j'ai confiance, qui incarne mon rêve et mon futur, un gouvernement qui doit me protéger. Jouant au funambule sur le fil de ma trahison.

Je ne voulais même pas le croire au départ, mais le doute demeure un puissant activateur de confusion. Et aujourd'hui, j'en viens à me demander si Shade n'a pas plus d'intérêt à me dire la vérité qu'à mentir.

J'ai pris ma décision en rentrant les coordonnées de l'Œil dans mon dropper, juste après les cours. Au fond, je l'avais déjà prise dimanche, lorsque j'ai sciemment omis de préciser le sujet de notre conversation sur la terrasse, au panel qui m'interrogeait. J'ai redoublé d'ingéniosité pour esquiver sans mentir et sans donner de détails.

Par Athéna, j'ai menti pour lui. Je l'ai protégé. Et ce que je m'apprête à faire n'a rien de plus rassurant. J'ai peur parfois, des extrémités auxquelles il me pousse sans même essayer. J'ai peur d'avoir déjà trahi tout ce en quoi je croyais.

Alors rentre chez toi. Je ne peux pas.

Je ferme les yeux et inspire lourdement. Quand je les rouvre, la devise inscrite sur le dôme percute ma conscience. Senatus et populus curae. « Le Sénat veille sur le peuple. » Je devrais me contenter de cela.