CHAPITRE 19 | PARTIE 2

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REYNA






Par automatisme, mon regard se porte sur la ville en contrebas. Les immeubles de verre réfléchissent les rayons vicieux du soleil qui m'empêchent d'apercevoir ce qui se trame derrière ces fenêtres polies. Quelle noirceur peut habiter ces lieux parfaits sous tous les points ?

Hélios est le quartier le plus élitiste de la ville. Le plus riche, le plus moderne, le plus autonome. Il accueille dans sa perfection éclatante les meilleures d'entre nous : les Élites. Ces femmes de pouvoir fortunées et influentes, mais dont la noblesse des Sénatrices leur fait défaut.

Sachant cela, le quartier se réduit au cimetière le plus luxueux de la ville, car il abrite en réalité des fantômes qui n'existent qu'en société. Perdus dans les entrailles de ces appartements onéreux et foncièrement impersonnels, les masques tombent et les visages macabres se dévoilent à couvert des baies vitrées réfléchissantes.

La chaleur glaciale de la solitude pénètre ma peau. Je frotte mon bras pour chasser les frissons contre mon épiderme. Je ne veux pas finir comme elles, avide d'un statut que je n'obtiendrai jamais. S'aplatir pour des miettes d'attention des Ancestrales. C'est pathétique.

Leur sort ne m'arrache même pas un rail de pitié. Perchée à cinquante mètres au-dessus du sol, les vies de ces femmes deviennent soudainement aussi ridicules que les tailles des passantes qui traversent la rue. Je me perds dans ma contemplation tortueuse, coupée du monde et de ses réalités.

J'observe sans voir, réfléchis sans but, conclus sans savoir. À quoi bon ? Je ne me suis jamais réellement souciée de ce que pouvaient vivre les autres de toute façon.

— Vous avez fait votre choix ?

La voix traînante de la serveuse m'oblige à lui accorder mon attention. Je la détaille rapidement, les sourcils arqués de condescendance. Je juge ses bottes magnétiques qui la surélèvent de quelques centimètres par une opposition de polarité avec le sol et sa jupe cerceau proche d'une réplique du système solaire. Je dévisage avec mépris son corsetard imbriqué dans sa cage thoracique, ses bras de cyborg et sa queue de félin qui flotte tranquillement derrière elle.

Je m'attarde sur son visage au teint cireux dont le côté droit se dissimule entièrement derrière une épaisse mèche de cheveux bleu ciel. Le reste de sa chevelure descend largement dans le bas de son dos, tandis que ses yeux violets continuent de me fixer avec ennui.

Je déteste les Exentriques. Je déteste les Mushrooms. Il ne peut y avoir que des gens désespérés et en marge de la population dans ce genre d'endroit.

— Un jus de Paradis pour moi, déclare Seven en lui faisant un clin d'œil chaleureux.

— Quel parfum ?

— Surprise, évidemment.

— Et vous, Miss-Propre-Sur-Elle ?

Son ton désobligeant m'arrache une grimace un peu plus prononcée. Bon sang, qu'est-ce que je fais là?

— Un Siropeux suffira, grincé-je peu friande des boissons mystères et autres bizarreries culinaires. Apportez-moi également une assiette de Délices Sucrés, un crumble énergisant et des pancakes ChocoFruits avec un supplément de baies de nuit.

— On fait pas les baies de nuit, mam'zelle. Trop chères.

— Tant pis, dans ce cas des baies normales feront l'affaire, concédé-je dans un soupir irrité.

Et c'est dans un bâillement à s'en décrocher la mâchoire que la jeune Exentrique récupère notre commande de son corset fourre-tout, dont les emplacements réfrigérés se retrouvent désormais encastrés dans son abdomen.

ManipulationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant