Chapitre 1 : La peu recommandable famille Karevell

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Quatre mois plus tôt.

Charleston, Mai 1756.

La jeune fille examina d'un air hautain son reflet dans le miroir, considérant la robe qu'elle portait avec dégoût ; il était hors de question qu'elle porte cette robe ce soir, à moins de vouloir se ridiculiser.

Elle l'enleva sans cérémonie et la laissa tomber par terre, puis détacha ses longs cheveux blonds et passa ses doigts dedans, appréciant la caresse du soleil qui accentuait ses reflets d'or.

_ Mademoiselle n'aime pas la robe ? demanda prudemment la jeune femme noire qui se tenait dans un coin de la chambre, observant avec appréhension sa jeune maîtresse.

_ C'est une horreur, répondit la jeune fille d'une voix cassante. Mère t'a réellement dit que c'était la mienne pour ce soir ?

_ Oui, acquiesça l'esclave en inclinant la tête.

Elle recula d'un pas, attendant avec crainte la colère qui n'allait pas tarder à lui tomber dessus, comme toujours. La jeune mademoiselle était colérique, capricieuse, méchante même parfois ; et la jeune esclave regrettait tous les jours d'être à son service. Combien de fois avait-elle dû éviter un vase, une assiette lancée à son visage pour passer ses nerfs ?

_ Elle se moque de moi, gronda la jeune fille en faisant les cent pas dans sa chambre, uniquement vêtue de son corset et de son jupon. Je ne la porterai pas !

_ Mademoiselle pourrait peut-être aller la voir et le lui dire ? se risqua à glisser l'esclave.

La jeune fille la fusilla du regard et l'esclave se ratatina sur place, attendant que la colère déferle sur elle telle une vague ; sa jeune maîtresse ouvrit la bouche, prête à exploser, mais deux coups tapés à la porte vinrent à la rescousse de l'esclave.

_ Quoi ? répondit la jeune fille d'une voix sèche. Entrez !

Un jeune homme entra dans la chambre, mais posa aussitôt une main sur ses yeux comme pour se cacher la vue du spectacle qu'il avait sous les yeux, à savoir une jeune fille à moitié nue.

_ Pour l'amour du ciel, Alice ! protesta le jeune homme. Tu devrais déjà être habillée !

La dénommée Alice le fusilla du regard, mais enfila de mauvaise grâce un kimono de soie, offert par un marchand chinois à ses parents voilà quelques mois ; elle noua la ceinture et dit d'un ton froid et cassant :

_ Voilà, tu peux regarder. Enfin Henry, comme si tu n'avais jamais vu une femme en corset et jupon !

_ Je préfère éviter de reluquer ma propre sœur, répondit Henry en retrouvant la vue.

Alice ramassa l'élégante robe de soie bleue qu'elle avait jetée à terre tel un chiffon, et la lança vers l'esclave en ordonnant :

_ Va trouver ma mère et dis lui que je ne porterai pas ça.

_ Bien, Mademoiselle, acquiesça l'esclave.

Elle sortit de la chambre sans demander son reste, remerciant en pensée l'intervention du jeune maître. Pauvre de lui, qui allait subir la colère de la jeune Alice !

_ Pourquoi tu ne veux pas la porter ? interrogea Henry.

_ C'est une horreur, décréta Alice en s'asseyant devant sa coiffeuse.

Elle attrapa une brosse et entreprit de brosser sa crinière blonde, passant ses nerfs dans les nœuds inexistants de ses cheveux.

_ Elle est de belle qualité pourtant, et doit être vraiment seyante, remarqua Henry en s'avançant dans la chambre.

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