Achille les quitta la nuit qui suivit, au grand désespoir de sa sœur Paula et des autres esclaves ; Henry s'y attendait, mais cela ne l'empêcha de se sentir mal lorsqu'il l'apprit.
Il n'eut cependant même pas le temps d'aller voir Paula et les autres afin de partager leur peine, car William insista pour que Henry l'accompagne à tel ou tel rendez-vous, afin de se familiariser avec la vie des planteurs et marchands de Charleston, et ses journées furent si bien remplies que la semaine passa à une allure folle. Il n'eut pas non plus l'occasion de voir Sophie, ce qui le mettait d'assez mauvaise humeur, en vérité, et il se laissa traîner au dîner de fiançailles le samedi suivant sans faire preuve de bonne volonté.
Michael en revanche paradait comme un coq, à tel point qu'il en devenait véritablement insupportable ; même Alice, qui habituellement s'entendait très bien avec lui, eut du mal à se retenir de l'envoyer paître. Le trajet chez les Jenkins se fit donc dans une ambiance plutôt morose, Michael ne comprenant pas pourquoi son frère et sa sœur ne se réjouissaient pas plus pour lui.
Contrairement à la fête grandiose organisée par les Ferewoll pour les fiançailles de Henry et Helena, les Jenkins préféraient quelque chose de plus intime. Il fallait dire aussi que la plupart de leurs amis n'avaient pas compris leur choix de marier leur fille unique au fils de William Karevell plutôt qu'au fils de son ami de longue date, et John Jenkins préférait sûrement éviter de dire qu'il avait tout bonnement vendu sa fille au plus offrant. De ce fait, il n'y avait que les Jenkins et les Karevell présents ce jour là, avec en plus les grands parents paternels de Lucy. Ce serait très intime, comme dîner de fiançailles, l'on ne pouvait guère faire plus simple. Il fallait dire aussi que les finances des Jenkins étaient catastrophiques, l'or de William Karevell servant surtout à combler les dettes suite à l'incendie.
Objectivement, Henry reconnaissait que toute cette affaire avait été très finement jouée par son père ; et plus le temps passait, plus il craignait de ne jamais réussir à le battre.
_ As-tu revu Lucy, depuis notre dernière conversation ? demanda Alice à voix basse alors qu'ils entraient pour la première fois dans la demeure des Jenkins.
Plus petite que la demeure coloniale des Karevell, elle n'en avait pas moins de charme et était décorée avec goût ; Henry sentit son cœur battre plus fort lorsqu'il vit Lucy descendre le grand escalier de marbre et rejoindre ses parents afin de les accueillir, et il laissa son regard s'attarder sur sa jolie silhouette.
Lucy était très en beauté ce jour-là, ses cheveux bruns tirés en un chignon tressé dégageaient son joli visage ; la robe verte qu'elle portait était très seyante, et lorsque ses yeux bleus croisèrent le regard de Henry, celui-ci crut y lire un certain soulagement lorsqu'elle le vit. Peut-être pensait-elle qu'il ne viendrait pas.
_ Henry ? insista Alice.
_ Une fois, oui. Tout est réglé.
Alice haussa les sourcils, mais ne put rien ajouter ; il y avait trop de monde autour d'eux. William Karevell embrassa chaleureusement John Jenkins, et salua très respectueusement Daniela, son épouse. Pour un peu, l'on aurait dit que le teint particulièrement sombre de l'ancienne esclave ne le dérangeait pas. C'est dire à quel point il était bon comédien...
Thomas Karevell s'empressa de saluer les Jenkins à son tour, toujours collé aux basques de William ; il entama une discussion très sérieuse avec les parents de John Jenkins, et entraîna son épouse Rose avec lui vers la salle à manger.
Ne resta plus dans le hall que Michael, Henry, Alice et Lucy ; l'air un peu gênée d'être le centre de l'attention du jour, Lucy dit nerveusement :
_ Ne tardons pas à les rejoindre, mon père m'a dit que William tenait à faire un petit discours. Ne le faisons pas attendre.
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Les Colonies
Historical FictionComme beaucoup de familles anglaises, c'est confiants et sûrs d'eux que les Karevell quittèrent l'Angleterre pour la Caroline du Sud afin de profiter des richesses des colonies britanniques, en plein cœur du XVIIIème siècle. Henry Karevell pensait...