Henry dévisagea longuement Lucy, le visage insondable ; Sophie la regardait aussi, attendant qu'elle se défende sans doute, qu'elle explique son geste. Mais Lucy ne disait rien. A quoi bon ?
_ Pourquoi as-tu fait ça ? Demanda Sophie. Tu te rends compte de tout ce que tu as déclenché ?
_ Je n'ai pas voulu ça, assura Lucy.
_ Pourquoi ? Répéta Sophie. Explique toi, au moins !
Lucy releva la tête et regarda Henry droit dans les yeux ; elle répondit d'un ton froid :
_ Henry venait de m'annoncer qu'il partait, avec toi. J'ai fait ça par vengeance, voilà, tu es satisfaite ?
_ De quoi voulais-tu te venger enfin ? S'exclama Sophie. Du fait qu'il parte avec moi ? Mais que croyais-tu ? Vous ne partagez rien, tous les deux !
_ Vraiment ? Dit lentement Lucy en dévisageant Henry.
Elle vit son regard changer ; il avait peur. Il craignait qu'elle ne révèle ce qu'il s'était passé entre eux, sans doute. Lucy se ravisa alors, et sans dire un mot elle sortit de la chambre et s'éloigna autant que possible de Sophie et de Henry, sortant dans le jardin et courant, sans s'arrêter, le plus loin possible.
Assise contre un arbre, Lucy vit l'aube se lever et éclairer la plaine autour d'elle ; les yeux vitreux elle contempla le ciel clair et sans nuages, annonciateur d'une belle journée de septembre. Cependant, si le ciel s'était inspiré de l'humeur de Lucy, il aurait été d'un noir d'encre, zébré d'éclairs, et dont le tonnerre aurait retenti jusque de l'autre côté de l'océan...
Elle rentra chez elle la mort dans l'âme, ne se préoccupant pas des branches qui arrachaient sa chemise de nuit, ni des pierres qui lacéraient ses pieds. Tout en elle n'était plus que douleur, et peine.
_ Mademoiselle ! S'exclama l'une des esclaves en la voyant revenir. Mademoiselle, mon dieu...
_ Tout va bien, dit Lucy d'une voix morne.
L'esclave l'aida à monter dans sa chambre, où elle retrouva Hermione qui la prit doucement par les épaules et l'enlaça tendrement ; Lucy se laissa aller à quelques sanglots, contre son amie, et elle murmura entre ses larmes :
_ J'ai tout gâché avec lui, Hermione, tout gâché... J'aurais dû agir autrement... J'aurais dû...
Hermione lui caressa doucement les cheveux et resta près d'elle jusqu'à ce que Lucy se calme et n'ait plus une seule goutte de larme à verser.
Oui, elle aurait dû faire autrement... Le rejoindre dans l'entrepôt plutôt que de le dénoncer à Alexander, lui demander de la choisir elle, et pas Sophie... Lui dire qu'elle l'aimait, de tout son cœur, comme elle n'avait jamais aimé quiconque. Voilà, ce qu'elle aurait pu faire. A la place, elle s'était laissée dominer par la colère, et le résultat était à la hauteur de la manière dont elle s'était comportée...
Lucy refusa de sortir de sa chambre deux jours entiers, évitant de penser à ce qui pouvait se passer derrière les murs de sa geôle ; Hermione lui apprit que Henry allait un peu mieux et se levait, à présent, et qu'il allait bientôt rentrer chez lui. Daniela avait insisté pour le garder quelques jours de plus, afin de pouvoir surveiller ses blessures, mais William voulait réunir la famille au plus vite. Ce n'était plus qu'une question d'heures, à présent, avant que Henry ne parte ; mais Lucy ne parvenait pas à trouver le courage d'aller le voir.
C'est Hermione qui l'y poussa, le soir du deuxième jour où Lucy s'était terrée dans sa chambre ; elle lui apprit qu'il rentrait chez lui dès le lendemain matin, et lui fit comprendre que c'était sa dernière chance d'être seule avec lui et de pouvoir s'expliquer. Lucy prit donc son courage à deux mains et après s'être regardée dans le miroir trois fois et arrangé ses cheveux deux fois, elle prit une profonde inspiration et sortit de sa chambre, se dirigeant vers celle que Henry occupait.
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Les Colonies
Historical FictionComme beaucoup de familles anglaises, c'est confiants et sûrs d'eux que les Karevell quittèrent l'Angleterre pour la Caroline du Sud afin de profiter des richesses des colonies britanniques, en plein cœur du XVIIIème siècle. Henry Karevell pensait...