Chapitre 25

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 La coque du navire fendait avec force la surface trouble du Nouveau Monde. Deux tranches d'eau se soulevaient sur son passage à intervalles réguliers, jetant dans le vent de grandes gerbes d'écume. Trois mâts pointaient leur structure vers le ciel, et en haut du plus grand d'entre eux, le vent battait le pavillon immaculé de la justice. La mouette bleue stylisée qui s'y trouvait, dansait dans un bruissement de tissu froissé. Le bois du bateau, qui portait en son sein les mains armées du Bien, exhibait sous les rayons du soleil son arrogante teinte bleu-vert.

Sur le navire, les bottes battaient la mesure sur un rythme infernal. Dans le ciel, un goéland qui dessinait des cercles en chantant put apercevoir une série d'humains, tous habillés de la même manière, véritables machines obéissantes, effectuer des allers-retours sur le pont à grand renfort de cris, d'ordres. Une précipitation minutieusement calculée ébranlait toute l'embarcation ; ici, on clamait des ordres, là, on tirait des voiles, plus loin encore, on rangeait des affaires et on se préparait. Rien ne semblait mettre en pause l'inépuisable rouage.

— Hissez les voiles !

— Île en vue, à dix heures !

— Redressez la barre !

— Oui, capitaine !

L'agitation redoubla, les hommes et les femmes en blanc se précipitèrent sous l'oeil attentif de l'oiseau. Ils suivaient les ordres avec précision et s'affairaient aussi vite que possible. Car telle était la Marine, le bras armé de la Justice, cette valeur aussi vieille que le monde et pour qui les guerres se sont succédé.

Insubordination. Lâcheté. Déshonneur. Voilà ce qu'elle ne désirait pas au sein de son âme.

Travail. Justice. Courage. Justice. Voilà ce qu'elle voulait fièrement arborer.

Croyances, forces, failles. Voilà ce que ses canons, ses épées et ses poings incarnaient réellement. Les armoiries de l'humanité, dans toute leur splendeur et leurs horreurs, gravées fièrement dans la chair de cette institution centenaire, dont les piliers étaient aussi solides que les flots marins.

La Marine, donc, avait une île dans sa ligne de mire. Une île à première vue paisible, calme, paradisiaque.

— Ne vous fiez pas à son apparence ! clama le capitaine. Cette île est le carrefour de la piraterie ! Qu'elle ne soit pas affiliée aux territoires des Quatre Empereurs ne devrait pas vous réjouir, la bleusaille ! Cette île cache des secrets. C'est justement car elle n'est affiliée à aucune faction qu'elle s'est construite comme point d'ancrage du ravitaillement des pirates ! Est-ce que vous comprenez ?!

— Oui, capitaine !

— Tout instant, toute occasion doit être saisie ! Car tel est le travail du Soldat ! Tel est notre travail ! Est-ce que vous m'entendez bien, soldats ? Est-ce que vous écoutez ce chant ? C'est celui du vent et des mouettes qui s'assurent que les ténèbres de la piraterie n'envahissent pas le monde ! C'est notre chant ! L'écoutez-vous, soldats ?!

— Oui, capitaine !

Un homme n'écoutait pas.

Accoudé au bastingage du navire, loin du rassemblement général des troupes, il observait le ciel. Un bleu si pur... Et pourtant, étrangement, dans ses yeux, ce ciel se teintait d'un vert rappelant les eaux qu'ils sillonnaient. Son manteau blanc s'agitait sous la brise et ne tenait que grâce à ses épaulettes rouges et dorées. Dans son dos, l'idéogramme de la Justice flottait follement.

La clameur, à quelques mètres de lui, s'étouffa lentement. L'homme ne réagit pas, il se contenta de mouvoir lentement ses bras, comme au sortir d'un long rêve.

Le Poisson d'OrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant