Le Poisson d'Or

Chapitre 10

 Assis sur la proue en forme de tête de lion, Luffy regardait l'horizon. Tout semblait si calme. Une brise légère soufflait depuis un ciel presque sans nuages. Quelques poissons sautillaient hors de l'eau. Leurs écailles dispersaient des éclats d'argent quand le soleil tapait dessus. Des poissons ordinaires qui n'attiraient pas l'attention du jeune capitaine ; il en avait vu d'autres. Il leur sourit avec gaieté, comme s'ils allaient lui répondre. Mais seul le chant des vagues résonna.

Il ne savait pas depuis combien de temps il s'était installé à la tête du navire pour contempler l'océan. Il n'avait rien à faire et l'ennui l'étraignait. Malheureusement, tout le monde semblait occupé. Franky et Usopp amélioraient un de leurs sous-marins, Robin lisait, Nami dessinait une nouvelle carte — et il ne valait mieux pas la déranger dans ces moments-là —, Zoro s'entraînait, Sanji cuisinait et Brook écrivait une nouvelle partition. Personne n'était disponible pour jouer avec lui, pas même Chopper qui étudiait aux côtés de Law.

Law... En pensant à son nom, Luffy ne put s'empêcher de se retourner pour contempler le pont désert. Depuis qu'il le connaissait, il avait toujours trouvé quelque chose de fascinant chez Law. Malgré son apparence, son sourire serein, sa puissance démesurée, ses capacités, son intelligence et ses connaissances, une aura de fragilité émanait de lui. Une aura qui avait tout de suite intrigué Luffy.

Le petit capitaine adorait parler avec tout le monde. Même ceux pour qui la communication représentait un véritable effort. Assurément, Law peinait à faire confiance aux autres et à tenir des conversations amicales. Focalisé sur ses objectifs, il délaissait tout ce qui pouvait se montrer un minimum amusant. Cette façon d'être exaspérait Luffy. Il voulait rendre Law heureux. Il voulait le voir sourire. Son allié était magnifique quand il brisait sa carapace.

Il posa sa main sur sa cicatrice. Aussitôt, la discussion qu'il avait eue avec Law, la veille, lui revint en mémoire. Luffy avait toujours été quelqu'un d'énergique, sautant dans tous les sens, courant, pourchassant ses rêves avec une ardeur redoublée. Enfant, tout son village natal savait comment il se comportait. Il ne comptait plus le nombre de bêtises qu'il avait faites, s'attirant successivement les foudres du maire, des villageois, de son grand-père et même de Shanks, qui s'inquiétait souvent pour lui.

Pas un jour ne s'écoulait sans que Luffy ne songe à son modèle. Au détour d'une vague, en mangeant, en s'échappant des griffes d'un navire de la Marine, lorsque la silhouette lointaine d'une île flottait à l'horizon, le nom de l'empereur émergeait dans son esprit. Il avait hâte, terriblement hâte de retrouver celui qui lui avait transmis son rêve. Chaque fois qu'il touchait son chapeau, Luffy se promettait d'être à la hauteur des attentes du grand pirate. Le décevoir ? Impossible ! Impensable ! Tout simplement inconcevable !

Avec une infinie tendresse qu'il ne se connaissait que pour les choses essentielles, il prit son chapeau. Il contempla longuement les rêves qui pendaient au bout de ses doigts. Sans cette promesse, aurait-il pris la mer avec tant d'ardeur ? Aurait-il cherché à devenir le roi des pirates ? Sûrement, mais cette aventure n'aurait probablement pas eu le même goût.

Shanks l'avait sauvé. Il lui avait offert son rêve et son aventure. Sans lui, serait-il mort ? Peut-être.

Et il en était de même pour Law. Sans lui, aurait-il pu survivre ? Ses blessures auraient fini par le consumer. Il l'avait sauvé. Alors, quelque part, il sentait qu'il devait à son tour être là pour lui. Après la perte de son frère, Law avait été l'un des seuls à être présent quand il en avait vraiment besoin. Il l'avait soigné. Il avait veillé sur lui, donné des consignes claires aux autres, il l'avait préservé. Lui qui n'avait pourtant aucun intérêt à sauver un potentiel ennemi.

Bien évidemment, il aurait fait exactement la même chose si leurs rôles avaient été inversés. Il se serait battu pour secourir Law. Il ne l'aurait pas laissé mourir. Il en avait l'intime conviction.