IV - (M)'eloigner de toi.

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« La confiance en soi fait le sot ; la foi en soi fait le grand homme.» - Victor Hugo.

À toi, petite Mel, 2021.

Il y a une vidéo de toi qui pleure à 25 ans. Cette année, tu as perdu ta maman, l'amour, l'espoir, et même l'un de tes cahiers.

La nouvelle année devrait sonner d'ici quelques minutes, et je me suis dit que j'allais t'écrire pour éviter que tu restes seule pour ce changement dans le temps.

Je sais qu'on est tristes, surtout ce soir. Je ne pense pas les gens nombreux à être heureux lorsqu'ils sont seuls pour un moment qu'ils voudraient important. Mais c'est comme ça. Du coup, moi je suis là. Et franchement, j'ai foutu la merde.

Je t'entends encore, et surtout l'écho de tes rêves, bourdonner en moi. A dire que tu veux galoper dans les champs, ramasser des fleurs, regarder un coucher de soleil à la mer, devenir quelqu'un, aller bien, être aimée.

Bon, laisse moi te dire que 25 ans ce n'est qu'un quart d'un tout que j'ai sans doute bien amoché.

A vu d'œil, t'es seule, plus que jamais. On t'oublie sans arrêt, tu n'as pas vu un cheval depuis des années, tu ramasses des fleurs sous les moqueries de passants un peu trop coincés (ou jaloux parce que les coquelicots qu'on trouve sont super beaux!). Et la mer est un peu loin, mais on a des vagues salées sous les paupières les soirs les plus noirs. Tu vas tout sauf bien, et en ce qui concerne le fait d'être aimée, sache que je ne rends pas vraiment notre vie facile. La fille que j'étais hier n'aime pas celle que l'on est aujourd'hui. Et elles se font la guerre sans arrêt.

Je t'imagine à dix ans, sur cette balançoire turquoise, à rêver de lâcher les cordes pour sauter. Tu te souviens de cette peur qui te paralysait? Elle remplace ton sang dans tes veines aujourd'hui. C'est un peu ma faute ça aussi, j'ai laissé des gens faire du mal à cette petite fille. Mais aujourd'hui on a un quart de siècle et de la rage dans le ventre. Le problème c'est que je ne sais pas comment arrêter de te bourrer de coups avec.

On en a fait du chemin, et je sais que je dois arrêter d'en vouloir à celle que je suis pour te laisser exister. Mais le monde, si tu le voyais...

J'oublie parfois que toi aussi tu as souffert, mais les adultes sont foncièrement égoïstes, pas vrai? Peut-être qu'on devient comme eux. Je laisse cette gamine sur le banc à la gare pour aller dans des endroits qu'on aurait détesté à l'époque. Mais les adultes sont obligés de faire des trucs qu'ils aiment pas, pas vrai? J'ai aimé des gens pour pas grand chose, je leurs ai donné la chance de nous briser encore un peu plus. Mais les adultes font des choix un peu compliqués pour être heureux, pas vrai?

Je me souviens de ce que tu m'avais dit il y a une éternité de ça, que tu voulais être quelqu'un de bien. J'ai essayé, je te jure que c'est vrai. Mais t'as toujours été la plus douce de nous deux. Il faut que tu comprennes que je n'ai pas eu d'autre choix que de devenir si froide, dure, angoissée, presque mauvaise. Imagine si ils ont réussi à détruire nos barrières, ce que ceux qui arrivent pourraient bien nous faire?

Je t'ai prise par la main quand maman est partie. Ou peut-être était-ce toi, qui me soutenait. Parce qu'on s'est écroulées. Si t'avais vu le ciel tomber... j'ai senti nos jambes trembler si fort que j'aurais pu hurler qu'un tremblement de terre nous bousculait.

Je n'ai rien oublié de ce mardi de fin d'hiver. Je me souviens du bruit des voitures sur la nationale, et tu me disais « qu'est-ce qu'il se passe? Dis, qu'est-ce qu'il se passe? » et j'essayais de comprendre. De découper les mots, de bruler les lettres, d'agresser les sons pour en faire quelque chose de plus net. Mais ça faisait le même fracas que lorsqu'un avion traverse le mur du son.

On a senti notre cœur mourir, surtout le mien. Et tu as séché mes larmes, parce que c'est ce que font les enfants, n'est-ce pas? Ils essaient de réparer les trucs cassés, de consoler les adultes un peu trop brisés. On s'est senties très seules, parce que personne ne nous a aimé (encore) à ce moment-là. J'ai dû crier pour qu'on vienne te serrer dans leurs bras, mais personne ne l'a fait. (Je suis désolée)

Alors je t'ai embrassée, enlacée, et on a crié. Parce qu'il fallait que l'adulte laisse de l'air a l'enfant qui venait de perdre aussi sa maman.

On a crié pendant si longtemps que j'ai perdu l'ouïe. Le monde ne faisait plus aucun bruit, je ne sentais plus rien, je ne disais plus rien. C'était éteint la vie en nous, l'écho de nos maux était devenu infini et les voitures hurlaient, et les gens hurlaient, et nous, on était là. A la caisse du supermarché, et je suis devenue un monstre qui dormait sous ton lit.

T'as appelé maman si souvent que j'ai dû te faire taire. Parce que sinon ça aurait vraiment été l'enfer.

On nous a dit d'oublier. Ces abrutis. On oublie pas, peu importe l'âge. Une fois que t'as été marqué au fer, tout ce que tu sais c'est à quoi ressemble la douleur. Parfois je t'entendais pleurer la nuit, alors j'ai fait comme les adultes qui nous ont élevé ; j'ai noyé notre chagrin dans des trucs pas très sains.

Mais aujourd'hui « ça va mieux » (j'ai du mal a nous autoriser à le dire). En réalité c'est pas une vérité absolue, parce que ça va souvent mal. Mais je fais au mieux.

Finalement je comprends maman. Je comprends pourquoi elle a lâché ta main, t'es la plus forte de toute la famille. T'as dix ans, peut-être douze. Et regarde comme tu as survécu jusqu'ici. T'avances sans moi, et parfois ça me faire peur. Parce que j'ai vingt-cinq ans mais je ne suis pas aussi courageuse que toi.

A l'enterrement tu m'as empêché de casser la gueule de beaucoup de gens, et heureusement parce que sinon j'aurais encore foutu un de ces bordel...

Je comprends pas pourquoi tu es la plus gentille. Après tout ce qu'on a vécu, tu continues à aimer la vieille, à t'inquiéter pour elle. Ça me donne envie de te faire pleurer. Je voudrais te montrer qu'elle ne ressent pas les mêmes choses que toi. T'es trop innocente, mais t'es juste encore trop petite. Je vois pour toi, et prends pour toi, ne t'en fais pas.

Vingt cinq ans et pourtant, on va où? J'ai grandi si vite qu'aujourd'hui j'ai juste envie d'être à la retraite. Qu'on fasse nos valises et qu'on se barre de ce monde de barges. Mais j'ai un peu loupé mon coup... je t'en ferai pas une liste (sinon ça dépasserait notre taille), mais il y a trop d'angoisses qui font que je n'arrive pas à te laisser partir.

Quand tu as peur, c'est moi qui tremble. Et ça fait un peu désordre dans ce monde de grands, parce que j'essaie de les copier, mais on sent bien que t'es là. Des fois je te dis de me laisser tranquille, j'affiche un visage fermé, j'accroche nos morceaux de cœur brisés, et je me mets à courir après... après quoi on court quand on est grand?

M'enfin, je cours. On y va, je sais pas où, mais on doit suivre le mouvement, non?

Ah, les gens crient là-haut.

Bon bah... bonne année.

Et t'inquiète, ça va aller.
Je vais réparer tout ce que j'ai gâché.







P.S: arrête de me dire qui trouver beau ou non, tomber amoureux c'est pas un jeu quand on est grand!

La rose et les épines.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant