XXXIII - (A)nniversaire

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À Aly, la princesse qui lève les yeux au ciel.

Je me suis rendue compte de quelque chose aujourd'hui qui m'a tardivement bouleversée. C'est bientôt tes 6 ans, tu ne comprendrais pas un traître mot de cette lettre, c'est pour ça que je la mets dans ce carnet ; tu n'as pas besoin de savoir tout ça, justement parce que tu as seulement 6 ans moins 3 jours.

J'ai été heureuse que tu m'invites à ton anniversaire, j'ai l'impression d'être attendue pour la première fois de mon existence et il a fallu que ce soit ma petite cousine qui m'offre cette joie. Au début, je n'ai pas compris pourquoi ça m'a bouleversée, je n'ai pas pleuré, mais je me sentais étrange. Que tu formules, toi-même, que j'étais évidemment inclue pour te célébrer. Sans que personne d'autre ne puisse nous dire ce qu'on a envie ou non de faire. Tu m'as dit, du haut de tes 4 cm et demi « t'auras qu'à me donner le bracelet pour le 2! » comme si, évidemment que j'avais ma place autour de ta table d'anniversaire.

Puis j'ai décidé que ce serait moi qui choisirais ton gâteau et ton cadeau d'anniversaire. Parce que je suis ta grande cousine de 27 ans, et que personne dans cette famille ne comprend les enfants.

Et petit à petit, je me suis rendue compte que sans le savoir, tu guérissais la petite fille que j'ai moi aussi été. Qu'à chaque fois que tu me demandes de t'attacher les cheveux, une partie de moi se sent utile et aimée. Que tous ces câlins, dont tu n'es pas radine pour deux sous avec moi, recollent des morceaux que tu n'as jamais brisés. Qu'au milieu de ces adultes qui nous ont détruits, vous y compris, toutes les deux on s'apporte quelque chose en secret.

Je suis l'adulte dont j'aurais eu besoin à ton âge. Je suis l'adulte dont tu as besoin à ton âge. Et en choisissant ton gâteau, ton cadeau, et en prenant soin de courir après toutes les licornes que je vois pour te les offrir, ensemble on rectifie le tir. Même si tes parents sont imparfaits, tu m'as montré humblement que je peux changer les choses maintenant. Que si on lève la main sur toi, je suis assez grande pour l'arrêter et gronder. Que je ne suis plus obligée de regarder l'enfer se répéter de génération en génération. Que je peux apprendre à ta mère comment vous aimer ton frère et toi, car je suis l'adulte qui sait. Car j'ai été l'enfant qui a subi. Et qu'il faut que quelqu'un fasse en sorte que ça s'arrête.

Pendant que je contemplais avec fierté ces bougies multicolores à paillettes licornes que je t'ai acheté, j'ai compris. Toutes les deux on va changer les choses. Pas le passé, parce que c'est pas possible, mais au moins les années à venir. Parce qu'on est l'enfant et l'adulte qui en sont capables.

Et toutes les fois où je te vois rouler des yeux lorsque quelqu'un te dit quelque chose qui te déplaît, je ne peux m'empêcher de sourire. Parce que même du haut de tes 5 centimètres et demi, tu es forte. A travers tes larmes je vois toute la vulnérabilité d'un enfant, mais dans tes mimiques je vois la future Aly, qui j'espère, continuera à lever les yeux au ciel quand un con te dit quoi faire.

Il y a quelques jours je t'ai vu me regarder, assise à mes côtés, de longues minutes durant. Je t'ai dit « tu me regardes avec des yeux remplis d'admiration que je ne sais pas si je mérite. ». Tu n'as rien compris, évidemment, tu as six ans moins trois jours. Les mots des adultes sont bien flous à cet âge là. Pourtant, c'est la chose la plus personnelle que je t'ai jamais confiée. Parce que j'ai peur de décevoir ces yeux noisettes d'enfant, lorsque justement, tu auras l'âge de comprendre que les adultes peuvent être décevants.

Dans la colère de ton frère, je vois toute la douleur que j'ai ressenti aussi, quand j'étais plus vieille que lui.

Tu sais Aly, souvent j'ai peur que vous ressentiez toutes ces choses qui me font mourir silencieusement sous les yeux de tout le monde. Toute cette souffrance qu'on se refile, de génération en génération. Qui m'a conduite à sourire faussement entre la dinde et le dessert à noël. Il a des yeux si débordants de colère, un langage rempli de violence, et seulement sept petites années. J'ai peur pour lui, que bien plus tôt que je n'ai eu à le faire, il s'enferme dans la haine et la colère, non pas parce qu'il est méchant comme tout le monde l'a pensé pour moi. Mais bien parce qu'il est sensible, vulnérable et malheureux.

Aly, dis-moi, qu'est-ce que je pourrais faire pour lui? Comment je pourrais venir chatouiller son cœur comme les licornes peuvent le faire avec toi ? J'aimerais le voir lever les yeux au ciel le menton bien haut et non pas les baisser avec le sourire à l'envers.

Il reste quelques mois avant ses huit ans, et même s'il dit être déjà grand, je voudrais qu'il puisse être vraiment un enfant et m'inviter à son anniversaire pour que je puisse y allumer des bougies. Que ça réchauffe son âme et éclaire son sourire...

La rose et les épines.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant