XXIV - (T)rès enchantée.

14 4 1
                                    

À T, mon vieil ami d'antan.

Je regardais par la fenêtre et je me suis dit que finalement, il ne tenait pas à grand chose de rencontrer quelqu'un. C'est dimanche et les passants se font rares. Pourtant un instant, je me suis imaginé retourner dans le passé, et changer le court des choses. Au lieu de t'écrire pour la première fois, on aurait pu taper avec nos doigts pour quelqu'un d'autre et se foncer dedans. Relevant la tête, un peu agacés et abrutis, on aurait grimacé un « pardon » avant de continuer.

Et c'est là que je me rends compte que, quoi qu'il arrive, tu aurais quand même fini par partir.

Dans toutes les versions que j'imagine, tôt ou tard, tu pars. Mais, en regardant ces gens dehors, je me dis qu'il ne tient qu'à nous de se rencontrer à nouveau, non?

Au bout de combien d'années on redevient des étrangers l'un pour l'autre quand la vie nous sépare?

Plusieurs fois j'ai eu envie de t'écrire. Te raconter à quel point c'était si bon avant, d'avoir quelqu'un avec qui partager son quotidien. Je me suis demandé dans quelle mesure ce n'était pas égoïste... Puis je me suis rendue compte, qu'en fait, j'avais deux trois personnes avec qui j'aurais pu essayer de le faire. Mais ça n'a jamais été pareil qu'avec toi. Alors, ce n'était pas tant par égocentrisme que je voulais te raconter ma vie, plutôt par affection je crois. Car en retour, j'aurais attendu avec plaisir que toi aussi, te me dise ce qui anime tes journées. Ce qui te fait sourire et pleurer. Ceux qui déclenchent ton rire, que j'aimais tant entendre il y a ce qui me semble être une éternité.

Il m'arrive dans la nuit, parmi toutes celles habillées par mes insomnies, de penser à toi. A quand tout allait mal mais qu'on partageait encore ces heures secrètes. Tu avais vraiment le don de surgir au moment le plus difficile, comme si tu avais deviné qu'il fallait mettre un pansement sur une blessée. C'était époustouflant la façon que tu avais d'illuminer les moments les plus sombres, alors que toi-même tu vivais dans le noir. Et souvent, j'en pleure encore pendant des heures.

Combien de temps cela prend-il au cœur, dis-moi, pour oublier quelqu'un?

Tu crois qu'il est utile de donner une seconde (pour la dixième, vingtième fois) chance aux gens? Tu crois que ça nous servirait? Quand est-ce qu'on sait qu'on a épuisé toutes nos opportunités ? Est-ce que c'est quand on arrête d'aimer? Parce que, tu sais, après tout ce temps, je n'arrive toujours pas à te détester. Et pourtant, c'est vraiment pas faute d'avoir essayé!

J'aimerais que tu reviennes des fois, même si je t'ai dit de ne jamais le faire. Avant, tu m'écoutais pas tellement quand je te disais quelque chose. C'est étrange cette façon que tu as de tenir promesse cette fois. Peut-être qu'on est vraiment devenus adultes, on respecte un pacte que j'aimerais tellement te voir briser. Est-ce que c'est ça être grands? Vouloir quelque chose et faire l'inverse? Compliquer tout ce qui nous semblait si simple avant?

Il y a pas grand monde dans les rues et je me dis que peut-être, toi aussi, par cette grise après-midi, tu marches sur des pavés mouillés. Un air nostalgique sur le visage, parce qu'on ne porte rien de plus solennel les jours mornes comme ceux-là.

Tu sais que ça fait pile deux ans que j'ai enterré ma mère aujourd'hui? Deux ans qu'une de mes larmes tombée sur son cercueil, dessèche mon cœur. Je crois que j'aurais voulu que tu sois là. Me raconter comme tu le faisais que « ça va aller, je te promets, ça va aller ». Ça a jamais été mieux, hein? Pas de mon côté en tout cas.

Parfois je pense à recommencer de zéro. Te dire « bonjour, enchantée », et t'y comprendrais rien. Alors je me présenterai en te disant que j'ai trouvé que t'avais l'air sympa, alors je me suis dit que j'allais venir me présenter, parce que c'est ce que font les gens qui ne se connaissent pas. Et c'est notre cas maintenant, n'est-ce pas?

Tu me suivrais sans doute, et j'apprendrais à connaître celui que tu es devenu sans moi. J'essaierai de ne plus t'en vouloir, d'oublier qui tu étais (qui nous étions) et de me laisser une chance d'être qui je suis avec toi. D'apprendre à apprécier qui tu es, et de t'aimer à nouveau comme un souffle que je ne m'autorisais pas. Parce que des amis comme toi, on en a pas mille, ni cent. Ça se compte sur un doigt je crois, et depuis que tu es parti, il n'existe pas.

Et puis finalement, en y réfléchissant, peut-être que tu ne me trouverais pas intéressante. Peut-être que tu répondrais par politesse sans rien vouloir me dire, et tu repartirais d'où tu es venu. Te demandant bien qui était cette fille aussi maussade qui est venue te parler d'on ne sait où, te confondant avec quelqu'un du passé.

Tu partirais encore et j'en pleurerai pendant des années.

La rose et les épines.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant