VI - (R)ayon de jeunesse.

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À R, 20??.

Hier je suis passée près de la Seine, ou de la Marne, je me souviens plus. A côté de la prison en tout cas. Ça m'a fait sourire. Je me suis souvenue qu'on s'est aimé dans ta voiture, une nuit, d'un mois. Ça m'a semblé si loin et si proche dans mon esprit.

Puis tout est revenu d'un coup, comme un film qu'on fait passer en accéléré. J'ai revu ta main sur la mienne, ton sourire un peu bancale, ton rire sincère. J'me suis revue à 18 ans, allongée sur une table de ping-pong à regarder les étoiles à tes côtés. Et j'me suis souvenue que tout était lié.

La première fois qu'on s'est parlé, tu m'as baragouiné je sais plus trop quoi sur les étoiles. Qu'elles étaient à des million d'années de là. J't'ai demandé si on pouvait voir une étoile mourir, tu m'as dit qu'elles étaient déjà mortes, et qu'on trouvait ça beau. J'ai toujours été allongée quelque part quand tu m'éblouissais, c'est un peu drôle.

Quand je t'ai vu pour la première fois, je me suis perdue dans le ciel de tes yeux. Et c'était vraiment étrange. Je sais pas au fond si tu es conscient que je t'ai vraiment aimé. J'ai du mal à croire que je sois tombée, mais si c'était à refaire, tu serais le seul pour qui je le ferai les yeux fermés.

Obnubilée par ce bleu clair, j'ai senti dans mon cœur que je devais absolument savoir quel goût avaient tes lèvres. C'était vital, un peu primitif. J'ai jamais eu l'habitude d'être capricieuse et encore moins auprès des autres. Mais toi... rien que d'y repenser, je souris.

Puis un jour, je me suis jetée d'une falaise, et c'est un doux courant qui m'a enlacée. J't'ai demandé si tu voulais sortir avec moi, et t'as répondu oui. J'ai cru que c'était faux tellement j'y croyais pas. J'étais trop jeune pour comprendre ce qu'était l'amour, mais j'avais de grands espoirs et encore de longs jours.

Tu m'as embrassée un soir comme on embrasse la vie, j'ai presque cru que j'étais l'oxygène qui te ferait vivre. C'était un peu prétentieux mais on sait ce qu'il s'est passé, dans la pénombre d'une chambre mal surveillée.

Puis un jour t'es parti, devant la mairie, un soir de saint Valentin. Tu m'as quittée et je t'en ai un peu voulu. Mais pas longtemps. Parce qu'on ne déteste pas ce qui nous a rendu heureux pendant des mois. Ta main dans la mienne dans ta voiture bleue. L'odeur des Philip Morris, du café froid, de la weed et le souvenir de tes équations à rallonge que tu faisais à 2 heures du mat.

Tu te rappelles quand t'as failli faire cramer l'appart? Après une soirée arrosée, ton joint coincé entre les doigts, tu riais à moitié. On aurait pu mourir, mais c'était pas grave. Parce que j'avais 18 ans et qu'on était bien. J'en avais plus rien à faire de savoir ce qu'il se passait dans le monde, chez moi, dans ma tête, dans la tienne. J'avais pas peur que tu m'aimes pas, j'avais pas peur que tu t'en ailles. Les choses trouvaient enfin leur place. J'étais jeune et insouciante.

T'étais pas mon premier amour, mais t'étais le premier à vouloir de cette place.

J'en garde un doux souvenir que je chéris encore après tant de temps. Ton visage est le seul qui m'inspire un sourire, ton prénom qui résonne comme un rire. Pourtant, jamais plus je ne l'ai entendu, jamais plus je ne t'ai croisé. C'est mieux ainsi, ma plus belle parenthèse étoilée.

Le feu repasse au vert, la Seine ou la Marne s'éloigne, et la seule prison dont je me rappelle, c'est celle du souvenir.

Et tout revient.

Mon dos nu contre la table de ping-pong en béton, les étoiles filantes, le banc froid de l'hôpital, tes yeux bleus et ta guitare, ta main sur la mienne, la poussière dans l'air de l'entrée, le bruit des bières, l'odeur des joints, ton rire, le son des sièges de ta voiture contre mon oreille, ta passion quand tu travaillais, notre premier baiser, le premier shot de vodka, ton dernier signe de main, ta voix brisée la dernière fois que tu m'as appelé, ta façon de me regarder, mes larmes quand je suis rentrée, la douceur de tes cheveux entre mes doigts, ton bras qui m'enroule dans la nuit, tes lèvres sur les miennes, sur mon cou, partout, tes grains de beauté que j'ai relié avec mes doigts, le sapin en bas de chez toi, les Philip Morris, le café, la brosse à dent que tu voulais que j'oublie, tout. Tout. Même après toutes ces années.

Juste pour un feu rouge, je revis mon meilleur été.

Peut-être que je te cherche dans les autres, sans jamais l'avoir compris ou te retrouver. Peut-être que t'étais le seul à me mériter, mais la réciproque n'aurait pas forcément été vraie. A cette époque j'aurais quand même voulu te voir rester.

Aujourd'hui je me souviens de toi à la dérobé, avec une simple odeur de café.

La rose et les épines.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant