XXII - (C)œur compote.

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À C. Un jour gris.

C'est drôle à quel point le temps passe et comme une houle déchaînée, emporte tout avec lui. Les sourires, l'innocence, la joie, l'espoir... les gens. Tu sais, dans ma vie j'ai plus ou moins toujours eu la sensation d'être le capitaine d'un navire abandonné. Pas parce que j'étais maître de ma vie, mais plutôt parce qu'on m'avait condamnée à naviguer en eaux profondes sans mode d'emploi.

Et comme tout bon capitaine qui se respecte, je suis celle qui quitte le rafiot quand il est déjà trop tard.

Partir en dernière. C'est donc ça la malediction de ces figures ?

Mon existence c'est un peu le Titanic, et tous les passagers sont ceux qui m'entourent. Certains sombrent à cause de moi, et je veux bien le reconnaître. Sans doute est-ce pour ça que d'autres sautent par dessus bord avant de se noyer.

Moi, c'est très clair. Je vais y passer à la fin. Comme tout le monde quand il s'agit de notre propre destin. Mais avant ça, j'aurais voulu connaître les rires, la chaleur et l'amour. Il fait si froid sur la mer, le vent et le sel de solitude m'irritent le cœur.

Quand j'étais ado j'adorais dessiner la nuit, je dormais très mal et un lampadaire se trouvait juste en face de la fenêtre de ma chambre. J'avais installé une petite table, sur laquelle je passais le plus clair de ma nuit à faire ces rosaces d'enfant aux couleurs psychédéliques. J'essayais de rattraper un temps pendant lequel j'avais déjà dû être grande. Mais ces nuits là, à l'époque, me semblaient infinies. Je connaissais un semblant de paix quand les cris cessaient. M'endormant sur le matin, car mes cauchemars se réveillaient à l'aube.

Je n'ai jamais pu vivre une vie accordée, toujours entourée d'une cacophonie brutale et mal jouée, ce qui fait qu'aujourd'hui à l'heure où je voudrais pouvoir connaître l'innocence et la joie, un réveil sonne sur les années qui m'en séparent. Et elles sont très nombreuses.

Trop nombreuses. Presque 30 ans. Moi qui ne voulais même pas atteindre 18... comment j'en suis arrivée là? Et surtout, à quel prix?

L'amitié, je l'ai connue sur le tard. Et je l'ai perdue aussi vite. Parce que regarde nous aujourd'hui, combien de passagers profitent encore du voyage? Tout le monde a préféré sauté que d'admirer le rivage à mes côtés. Je n'ai d'autre choix que de voir la mer se déchaîner sans arrêt autour de moi, mais je croyais naïvement pouvoir donner le change à ceux qui profitaient de la croisière.

J'avais tort.

J'ai souvent tort, et je suppose que ton silence en est la preuve.

A un moment, je ne sais plus quand, j'ai arrêté de dire que je serai là s'ils avaient besoin. Parce que personne n'a jamais eu besoin d'avoir quelqu'un comme moi. Ils ont besoin de mieux, de plus brillant, de plus idyllique. Qui voudrait d'un nuage orageux dans un ciel d'été? D'un vilain petit canard dans une mare de cygnes?

Je crois que je suis l'une des raisons de la colère de cette mer qui s'emporte. Au loin, d'autres ont lancé ce mouvement, qu'elle continue de répéter depuis des années. Mais au cœur des vagues, se cache un volcan. J'ai dû souvent l'agiter pour faire avancer mon bateau. Mais maintenant je voudrais qu'il s'endorme et me laisse profiter du calme et de la paix sur ma bicoque bousillée.

Je revois encore cette gamine à sa fenêtre qui croit posséder un secret que d'autres n'ont pas, lorsqu'elle observait le monde dormir. Des dizaines de rosaces sous le coude, et plein d'espoir caché dans la tête. Aujourd'hui, elle a bien vieillit, et contrairement au bon vin, son espoir a viré au vinaigre.

C'est amer, imbuvable et infecte d'observer la vie se mouvoir sous mes yeux. Parce que je voudrais retrouver une innocence volée depuis des générations. Je n'ai qu'un futur dessiné dans la nuit, pour lequel on a confondu les couleurs avec le noir et le gris.

J'aurais voulu être une bonne amie. Et connaître la joie, les rires et les sourires même lorsque la mer poussait des cris. Je croyais qu'on pouvait être sauvé par les autres à la fin du récit. Je croyais naïvement qu'aimer se faisait pour toute la vie. Je pensais que ce qui donnait l'envie au soleil de revenir, c'était la chaleur avec laquelle les autres réchauffent notre cœur. J'avais vraiment rien compris.

Le capitaine sait lorsqu'il monte sur son bateau, que les autres vivront au prix de son sacrifice.

Je suppose que c'est pour ça que je continue à m'accrocher à la barre du navire, tout en sachant pertinemment que c'est dans coque que je vais périr.

La rose et les épines.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant