Son travail en tant que garde des oubliettes était devenu beaucoup plus complexe.
Lui qui pensait que ça n'allait pas changer grand-chose, lui qui pensait y être habitué ! Thémy s'était lourdement trompé. Dès la première heure, il avait commencé à devenir nerveux, à se dandiner sur lui-même. Rapidement, ses jambes s'étaient ankylosées. Les râles des prisonniers étaient devenus progressivement insupportables. Le temps était passé d'une lenteur improbable, dans les oubliettes humides du château. Le silence en était presque devenu assourdissant.
À présent qu'il était conscient du monde qui l'entourait, qu'est-ce qu'il admirait les soldats qui faisaient le même travail que lui, et qui ne se plaignaient pas le moindre instant !
Pour faire passer ses longues heures interminables, Thémy s'était remémoré la courte conversation qu'il avait eu avec cette arrogante Eloïse. Il se demandait si elle n'était que garde de ses appartements, ou si elle était autorisée de se mêler aux femmes de chambre de la reine. Peut-être l'accompagnait-elle pendant ses activités, ses réunions privées, ou encore, lui tenait-elle compagnie quand elle était seule. Thémy ne put réprimer sa jalousie envers la Marionnette. De manière puérile, il était amplement convaincu qu'il était capable d'effectuer le travail d'Eloïse et, même, de le faire mieux qu'elle. Mais la barrière du genre était infranchissable dans ce cas...
Mais un soldat l'arracha de sa torture, avant la pause de mi-journée. Il était temps pour la Marionnette de rejoindre ses semblables au réfectoire. Thémy grimpa les marches de l'escalier avec vitesse, pressé de quitter cet enfer détrempé aux odeurs de renfermé, puis fonça vers la cafétéria en ignorant complètement les regards désapprobateurs et méfiants des soldats qu'il croisa.
Thémy avait hâte que les entraînements aux armes débutassent. Premièrement, parce qu'il désirait véritablement s'améliorer à l'art de l'épée et, deuxièmement, cela lui permettait de le libérer de son poste de geôlier. En mettant sa fierté de côté, il serait prêt à supplier à genoux le général Baptiste Lyraispaix de le changer de poste, de mettre une autre Marionnette à sa place. Et pourquoi pas prendre la place qu'occupait Gwenn, finalement ? Ça serait toujours mieux que de croupir dans les sous-terrains du château...
Kenji n'était pas encore arrivé. Thémy se mit à sa place habituelle. Des petits groupes de Marionnettes avaient commencé à se former. L'ambiance devenait progressivement plus conviviale, au fur et à mesure. La tension se fracturait peu à peu. Il picora dans son plat – une tranche de jambon avec des galettes de pomme de terre – en attendant son camarade, l'esprit ailleurs. Au fond de lui, la Marionnette appréhendait les entraînements de l'après-midi, même s'il avait hâte en même temps. Ce sentiment paradoxal le malmenait.
Un plateau se posa devant lui. Thémy reprit ses esprits, et leva les yeux. C'était Eloïse.
— Et tu n'attends même pas tes confrères pour festoyer ? lui fit-elle remarquer, en s'asseyant. Tu es vraiment le muet le plus malpoli que j'ai pu rencontrer de ma vie.
— Si c'est pour me critiquer gratuitement, tu peux aller manger ailleurs, Eloïse.
— J'entends ta remarque, et c'est avec plaisir que je déclare m'en moquer infiniment.
Thémy laissa échapper un grognement de frustration. Eloïse but son verre d'eau sans le lâcher des yeux.
— Tu n'as personne d'autre à bassiner, la pimbêche ? laissa-t-il échapper. Car si c'est pour m'en prendre plein la figure à chaque fois que tu es là...
— Eh, mais c'est ma place ! s'écria Kenji.
Il regarda Eloïse avec de grands yeux. Il semblait outré. Eloïse resta de marbre.

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Bad Love Cursed Romance
FantasyProtéger le royaume. Protéger le château. Protéger la reine. Voilà sa vocation. Thémy est une Marionnette, c'est-à-dire une créature dépourvue de conscience façonnée dans le but de servir son créateur. Lui et les cent neuf autres Marionnettes n'ont...