La cafétéria était une pièce lugubre et rectangulaire, où se suivaient un nombre incalculable de tables en bois d'ébène, toutes identiques.
On leur avait servi une bouillie fade, accompagnée de pain noir et de quelques tranches d'orange. Thémy était tellement affamé qu'il n'eut pas le temps de s'insurger sur la qualité médiocre de son premier repas, mais les mines dégoûtées de certaines Marionnettes lui indiquèrent qu'elles n'avaient pas eu le même avis que lui sur la question.
Le réfectoire était noyé dans un silence gêné. Aucune Marionnette ne se parlait entre elles, hormis quelques murmures à peine audibles que certaines se permettaient. Ce fut comme si les Marionnettes prenaient de la distance entre elles. Les portes de la pièce étaient, à nouveau, bloquées par les soldats qui les surveillaient de près.
S'ils les surveillaient, c'était en partie parce que les soldats et les généraux ne leur faisaient pas confiance. Mais aussi parce qu'ils avaient peur des Marionnettes.
La froideur du général Baptiste Lyraispaix cachait-elle une peur qu'il déguisait en mépris, ou son dégoût envers eux était bien réel ? À présent pourvu d'une conscience, Thémy s'adonnait avec joie aux plaisirs de la réflexion, même si elle était loin d'être profonde. Cette situation lui paraissait encore complètement irréelle, mais une partie de lui était amplement convaincue qu'il ne délirait pas, que ce n'était pas lui qui devenait défaillant avec le temps.
Soudain, un plateau se posa violemment devant lui. La Marionnette sursauta. Un de ses semblables s'assit devant lui.
— Il y a quelqu'un, là ? demanda-t-il inopinément.
Cette Marionnette portait le numéro trente-cinq. Thémy essaya de se remémorer son nouveau prénom, en vain.
— Non, il n'y a personne.
— Super, je peux m'asseoir alors ! dit l'autre Marionnette alors qu'il était déjà installé, prêt à attaquer la bouillie. Ah, et je suis rassuré de voir que tu sais parler, même un petit peu. J'avais peur que tu ne saches que t'excuser, quand t'ouvres la bouche, rajouta-t-il d'un ton légèrement moqueur.
Thémy plissa légèrement les yeux. Le début de fierté qu'il pouvait construire ici se trouva ébranlé par de simples mots.
— Je n'ai pas l'habitude, c'est tout, se défendit-il.
— Ça va, pas besoin de te justifier, tu sais. C'est normal que tu sois perturbé. Je ne voulais pas te vexer. Enfin...
Il lui tendit la main.
— Moi, on a décidé de m'appeler Kenji. Donc, salutations, je suis Kenji.
— Thémy, se présenta-t-il en lui serrant la main.
— T'es posté où, toi ? Désolé, hein, c'est le même interrogatoire que celui du général, mais je dois t'avouer que je n'ai rien écouté des présentations des autres. Je me suis juste concentré sur mon passage, et c'est tout.
— Je garde les oubliettes. Et toi ?
— Je suis une Marionnette de patrouille. Je fais des rondes dans la capitale, avec des soldats et d'autres Marionnettes.
La capitale de l'Obscurum, Loveyvalya, était une ville immense fondée au cœur d'un profond lac asséché, au centre même du royaume. Thémy n'avait que des souvenirs flous sur l'apparence de la cité : il ne se souvenait que des parois de l'ancien lac, où se dressaient des remparts en pierre sombre tout autour, ainsi que des routes sinueuses et torturées, uniquement éclairées par la lumière qui s'évadait des maisons et des bâtiments environnants. Il n'avait peu eu l'occasion de sortir du château et, à présent, la Marionnette était bien tentée de s'aventurer dans la capitale pour la découvrir, pour mieux comprendre où il se trouvait, finalement.

VOUS LISEZ
Bad Love Cursed Romance
FantasíaProtéger le royaume. Protéger le château. Protéger la reine. Voilà sa vocation. Thémy est une Marionnette, c'est-à-dire une créature dépourvue de conscience façonnée dans le but de servir son créateur. Lui et les cent neuf autres Marionnettes n'ont...